LES VILLAGES DE LA VALLÉE DE LA GATINEAU



Je pense pouvoir dire sans me tromper que je connais tous les villages de la Vallée de la Gatineau. Je les ai tous parcouru à un moment ou à un autre, lorsque j'étais journaliste dans cette région, il y a plus de vingt ans maintenant.

Par exemple, tout au nord de la Haute-Gatineau, à l'extrême pointe du territoire habité, il y a le village oublié de Baskatong, englouti par les eaux du réservoir du même nom. Évidemment, je ne le connais que de nom et je n'y suis jamais aller comme tel. Il me fait souvent rêver, par contre. Il n'en reste, je pense, d'après une photo de j'ai vu jadis dans un journal d'Ottawa, que des fondations gisant sous l'eau d'un réservoir bordé de toutes parts d'actives pourvoiries et regorgeant d'affriolants dorés, bref le paradis des pêcheurs.

Je me souviens du hameau de Pont-Rouge et du village de Lytton, aujourd'hui regroupés avec le village de Montcerf. Je me suis beaucoup promené sur les chemins de Cameron, l'ancienne canton qui, à l'est de la Gatineau, a été fondé par des Irlandais et a été éventuellement regroupé avec le village canadien-français de Bouchette, à l'ouest, avec un seul pont (métallique et plutôt chambranlant) unissant les deux entités. J'ai toujours eu un faible pour le hameau minuscule de McBean, côté est de la rivière Gatineau, réduit à quelques maisons le long d'un virage assez sec. J'aime la toute petite banlieue de Wright, juste au sud du village de Gracefield, en face d'un grand espace vide où se trouvait autrefois une ferme forestière. Il y a aussi le village de Northfield, de l'autre côté de la Gatineau, à l'est du village de Gracefield, dont il n'est relié que par la grâce d'un pont assez étroit.

J'aime beaucoup les vieux villages irlandais d'Aylwyn, Kazabazua, Low, North Low et Martindale (le val de Martin, en quelque sorte, en français), dans la Moyenne-Gatineau, ainsi que Lac-Sainte-Marie, petit village canadien-français comptant aussi une communauté métisse, tout comme, d'ailleurs, le village de Grand-Remous, héritage de l'exode des Algonquins vivant autrefois à Baskatong, dont une partie est allée à Lac-Rapide (Lac-Barrière), une partie à Kitigan-Zibi et une partie à Grand-Remous.
J'ai entendu dire qu'à l'ouest d'Aylwin, de l'autre côté de la route 105, se trouvait autrefois une autre ferme forestière, destinée elle aussi à alimenter les chantiers de bûcherons situés au nord de la partie habitée de la vallée de la Gatineau, dans les profondeurs boisées s'étendant jusqu'à Clova et Parent. J'y ai visité un jour, dans les années '80, un camp forestier 'moderne', dans un lieu que les employés de la Canadian International Paper (la fameuse CIP, dont le souvenir est omniprésent tout au long du pays de la Gatineau, jusqu'à la petite ville industrielle -ou ville de compagnie- qui portait auparavant le nom de Gatineau Mills) appelaient le camp du Lépine, un peu au nord-est de la réserve faunique de La Vérendrye. Je me souviens surtout de longues et longues heures de voyagement, le long de routes pas toujours asphaltées, de chemins de terre et de pistes de sable, aux côtés d'un employé anglophone de la CIP qui m'y conduisait pour l'aller et le retour, tout simplement parce que je n'avais pas encore de voiture m'appartenant à cette époque.

Je connais aussi les villages et hameaux algonquins qui sont nichés un peu partout sur le vaste territoire de la réserve faunique de La Vérendrye, notamment les constructions nombreuses du territoire de la réserve ''officielle'' de la bande de Lac-Barrière (ou Lac-Rapide), une agglomération de petite taille, mais dense et surpeuplée, bâtie sur une péninsule s'avançant dans le réservoir Cabonga, juste au nord de la pourvoirie du même nom. J'ai visité aussi les implantations ''officieuses'' qui parsèment la réserve faunique, dont le petit groupe de maisons construites près de l'ancien aéroport, sur la route 117, non loin de l'entrée sud. Je me souviens aussi d'un village érigé par une cinquantaine de transfuges de la réserve ''officielle'', juste au sud du Domaine, le long des rives du lac Jean-Perré, refuge que se sont donnés des Algonquins ayant fui la violence et les gestes hostiles de leurs compatriotes vivant sur la péninsule. Je n'oublierai jamais, non plus, un minuscule hameau nommé Kokomville (la ville de grand-mère, en langue algonquine), aux confins nord de la réserve faunique, à ce qui semblait n'être que quelques kilomètres à peine des frontières abitibiennes, au milieu d'une vaste mosaïque construite de blocs intacts de forêt et de grands carrés coupés à blanc, un lieu inoubliable, incroyable, magique et inspirant, composé d'une dizaine de logements construits de bric et de broc, peuplé d'une cinquantaine d'individus, dont un nombre surprenant d'enfants de tous les âges, courant sans cesse dans tous les sens, manifestant leur vie, leurs espoirs et leurs peurs de toutes les manières possibles, comme le font tous les enfants de cette terre étrange qu'est le Monde des Hommes.

J'apprécie aussi les villages touristiques de Wakefield, de Chelsea et d'Old Chelsea, l'ancien village minier d'Ironside (depuis longtemps englouti dans Hull) et les autres communautés d'origine irlandaise de la Basse-Gatineau. L'âme irlandaise y est encore forte et intense, tout comme c'est aussi le cas à Low et à Kazabazua, malgré une présence francophone qui s'amplifie de décennie en décennie. Je connais également les villages canadiens-français de ce coin de pays, le long de la vallée de la rivière Lapêche, jusqu'à Duclos et Lac-des-Loups, entre autres.

Dans le coin nord-est de la Haute-Gatineau, en bordure des Hautes-Laurentides, je connais aussi le village encore très vivant de Ste-Famille d'Aumond, le long de la route 107, puis le village de Val-Émard, réduit à un simple rang de maison sur un chemin secondaire, un peu plus au nord, et, encore plus au nord, toujours le long de la route provinciale 107, le village-fantôme de Saint-Cajetan, dont il ne reste aujourd'hui presqu'aucun signe tangible, sinon un écriteau près d'un cimetière où dorment les anciens habitants du village, ainsi qu'une maison de ferme abandonnée qui m'a toujours fascinée, de par son histoire que je devine riche et bouillonnante de vie, comme devait l'être ce logis autrefois empli d'enfants, de rires et de pleurs.

Toujours dans l'axe de la route 107, mais encore plus au nord, au-delà de sa rencontre en T avec la route provinciale 117 (qui grimpe en diagonale de Mont-Laurier vers Val-d'Or), dans les boisés perdus de ce secteur, il y avait aussi un tout petit village. Je n'y suis jamais allé, comme dans le cas de Baskatong, tout simplement parce qu'il ne s'y trouve plus rien, même pas des champs, la forêt y étant revenue en force et y ayant repris tous ses droits, y ayant réabsorbé en quelque sorte ce qui constituait un village humain tout ce qu'il y avait de plus normal, comme si les pionniers d'antan avaient défriché et déssouché l'endroit pour strictement rien, dans le fin fond. Je ne sais même pas s'il y reste encore des fondations d'habitations. Il s'agit du site de ce qui était jadis le village ancien et très, très oublié de Castor-Blanc...

Ce court périple a permis de présenter quelques-uns à peine des villages lointains de la Gatineau, au nord de la grande cité du même nom, forte aujourd'hui de presque 300 000 résidents. Quelques-uns à peine, car je n'ai pourtant rien dit de beaucoup d'autres, que ce soit de Cayamant, de Chénier, de Messines, d'Egan-Sud, de Bois-Franc, des Quatre-Fourches, de Denholm, de Sainte-Thérèse-de-la-Gatineau ou de tant d'autres lieux du même genre. Qui a dit qu'il ne se passe rien dans le beau et grand pays de la Gatineau, celui de la Chasse-Galerie, des canots volants et du Diable à la langue fourchue, celui des Algonquins, des Français et des Irlandais, c'est-à-dire les trois grandes cultures traditionnelles de la vallée (auxquelles viennent toutefois s'adjoindre ces années-ci un nombre toujours croissant de Néo-Québécois), celui des voyageurs, des négociants et des agents de commerce, celui de la Compagnie de la baie d'Hudson, de la CIP et des petits commerces (dépanneurs, stations-services, etc.) de nos villages, celui des trappeurs, des chasseurs, des pêcheurs, des cultivateurs, des touristes et des gens d'aujourd'hui, celui de l'Espace des Découvertes, celui de mon enfance et de ma vie de jeune homme?

Voilà donc enfin présenté la ribambelle des villages, le collier des hameaux, le très saint et très honorable chapelet où viennent s'égrainer les noms des lieux de ma vie d'autrefois, celle d'avant la venue de mes enfants, celle d'avant la poussée graduelle d'une descendance encore jeune et balbutiante, celle d'avant ce qui pourrait possiblement être le début d'une pré-retraite bien méritée. Qui sait ce que peut nous réserver l'avenir?

Commentaires

  1. Très belle lecture Charles. Tu devrais présenter tes articles à un journal.

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