L'INDUSTRIALISATION AFRICAINE: SAHEL, GUINÉE, FER, COTON, ETC.

 

Les voies ferrées et projets de voies ferrées à l'époque coloniale (Wikipédia, octobre 2023)


Une conversation avec un ami ouest-africain m'a permis de mieux comprendre certains éléments de l'actualité récente.

La frontière entre le Bénin et le Niger est présentement fermée par Nyamey en guise de moyen de pression sur Porto-Novo. En conséquence, les camions ne passent plus et les conteneurs à destination du Niger s'accumulent dans le port de Cotonou. De la part de Nyamey, c'est une manière ponctuelle (et subtile) de signifier au gouvernement béninois à quel point le commerce entre les deux pays est important et bénéfique, pour l'un comme pour l'autre.

Il y a probablement plus à tout cela, toutefois. Il s'agit sans doute aussi d'un geste visant à préparer des changements à plus long terme, au plan structural, dans les échanges qui existent entre les pays du Sahel et les ceux de la bande côtière (ou pays guinéens).

Présentement, pour des raisons historiques remontant à l'époque du colonialisme européen, ces échanges commerciaux se font surtout dans le sens nord-sud, vers les ports de Tema (Ghana), Accra (Ghana), Lomé (Togo), Abidjan (Côte d'Ivoire), San Pedro (Côte d'Ivoire), Cotonou (Bénin) et Lagos (Nigéria). C'est l'aboutissement d'une logique coloniale axée essentiellement sur l'exportation de produits de toutes sortes, qu'ils soient agricoles (coton, cacao, etc.) ou miniers (minerais, minéraux, autres sous-produits de l'extraction minière, etc.). L'infrastructure existante est donc l'héritage direct du mode d'exploitation colonial européen.

Cela étant posé, le développement économique intégré de l'Afrique de l'Ouest, notamment au niveau des échanges commerciaux entre la bande sahélienne et la bande côtière, ainsi qu'au niveau des échanges (toujours dans les deux sens) entre ladite bande côtière et les pays non-africains, peut cependant justifier (et être même facilité par) la multiplication et la diversification de diverses voies de communication terrestres, tant pour les marchandises que pour les passagers.

Les actualités récentes, relativement à la Guinée, un pays traditionnellement d'esprit indépendant, situé grosso modo entre le Sénégal et la Côte d'Ivoire, relativement au très prometteur gisement de fer de Simmandou, ainsi qu'au rôle majeur que joue la Chine dans ce projet titanesque, ne sont probablement pas étranger à tout ce qui se passe au Sahel en général en ce moment. Il y a même sans doute, entre les deux, une certaine coordination, qu'elle soit volontaire et planifiée de longue date ou spontanée et improvisée au fil des événements.
Il est bien connu que la Chine, présente en Guinée, est un allié important de la Russie, pays dont l'influence grandit au Sahel, notamment auprès des trois pays qui ont conclu récemment une alliance militaire anti-djihadiste (Mali, Burkina Faso et Niger). Le projet de Simmandou implique la construction d'une nouvelle voie ferrée, assez longue et dispendieuse, entre le gisement, situé assez loin dans les profondeurs orientales de la Guinée, et un nouveau port minier, juste au sud de Conakry. Incidemment, ce port pourrait aussi devenir éventuellement un centre industriel majeur, lié à la transformation du fer (ou d'une partie de ce fer), sur place.

Dans le cadre du projet de Simmandou, l'évacuation du fer, dans un premier temps, se ferait par bateaux relativement petits qui se dirigeraient d'abord vers un tout nouveau port en eaux profondes, en cours d'aménagement, situé à quelques dizaines de kilomètres à l'est de Lagos (Nigéria), port réalisé lui aussi en partenariat avec la Chine, précisons-le. Le minerai de fer serait alors transbordé dans d'immenses navires minéraliers pour être emmené par la mer jusqu'en Chine, avant d'être concentré ou transformé plus avant sur place.
La nouvelle voie ferrée, en Guinée, exige des investissements faramineux de la part des investisseurs impliqués, parce qu'elle doit emprunter un parcours assez difficile (en terrain montagneux) et que sa construction implique en conséquence de réaliser des centaines de ponts, ainsi qu'un tunnel. Le coût de construction d'une telle infrastructure a évidemment un impact sur la viabilité de tout le projet d'exportation (et, un jour, d'exploitation sur place) du fer guinéen.
En ce sens, le projet de voie ferrée pourrait conserver un niveau de viabilité suffisant, voire considérablement accru, du point de vue de la Chine, bien sûr, si des voies secondaires venaient éventuellement s'y greffer, notamment vers Bamako (Mali), Ouagadougou (Burkina Faso) et Nyamey (Niger). Cela se ferait probablement par étapes, permettant ainsi aux opérateurs du projet de capter une partie croissante de tout le trafic commercial originant du Sahel et de le détourner vers la façade maritime de la Guinée, que ce soit dans les domaines des mines, de l'agriculture ou autres.

Un tel projet, faut-il le préciser, n'interdirait pas nécessairement le maintien, voire la bonification graduelle, des liaisons existantes dans le sens nord-sud, mentionnées ci-haut. Par ailleurs, il faut aussi ajouter qu'un projet de ce genre, malgré toutes ses imperfections et ses insuffisances (rien n'est jamais parfait), permettrait aussi d'assurer à l'Afrique de l'Ouest de développer, d'exploiter et d'utiliser ses ressources minières, agricoles et autres d'une façon conforme et compatible avec les besoins des populations locales, leurs attentes et leurs capacités.

L'industrialisation amorcée de l'Afrique de l'Ouest, illustrée notamment (mais pas uniquement) par l'immense parc industriel de Glo-Djigbé, au sud du Bénin, va nécessairement entraîner la création d'un réseau dense de voies de communication, ferroviaires ou routières. Dans le cas particulier de Glo-Djigbé, cela implique par exemple de faciliter le transport du coton, cultivé dans le nord, vers le parc industriel en question, situé entre Allada et Abomey-Calavi, ainsi que son exportation subséquente, sous forme de vêtements ou autres produits textiles, que ce soit par route (vers le Nigéria, le Ghana, le Niger, etc.), par air (aéroport de Cotonou) ou par mer (port autonome de Cotonou), de même que tous les autres produits agricoles qui y seront également traités, transformés ou emballés, dont les ananas, les noix de cajou, les arachides, etc.

Soulignons, à grands traits, que cette industrialisation de l'Afrique de l'Ouest, déjà en cours, menée par les gouvernements de cette région du monde, promet d'avoir des conséquences globalement bénéfiques pour les populations concernées. Plus encore, les compagnies privées de l'étranger (Europe, Asie orientale, Amérique du Nord, Moyen-Orient et autres) pourront elles aussi profiter de ce développement d'ensemble, par exemple par le biais de participations actives (usines, routes, etc.) aux initiatives menées par le secteur public.

L'Afrique aux Africains et aux Africaines!


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PLUS:  @charles.millar3 (Twitter)






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