LE GRAND DUEL SINO-AMÉRICAIN : ESPOIRS ET DANGERS


La domination mondiale exercée par l'Empire britannique s'est terminée lors des deux grandes guerres mondiales, soit la première, de 1914 à 1918, et la deuxième, de 1939 à 1945. À la fin de ce dernier conflit, après avoir investi le quart de sa richesse nationale à combattre et anéantir le nazisme, l'Empire britannique, exsangue, réduit à l'ombre de lui-même, a été dépouillé de ses principales colonies d'Asie, d'Afrique, d'Océanie et des Antilles, lors d'une grande vague de décolonisation. Réduit essentiellement à quatre royaumes à majorité anglo-saxonne (le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande), l'Empire s'est métamorphosé en Commonwealth pour ne pas perdre toute influence.

Pendant ce temps, les grands vainqueurs de 1945, les États-Unis et l'Union soviétique, se sont partagés le monde et ont débuté une rivalité qui s'est déroulée partout dans le monde, jusqu'à l'effondrement final de l'URSS en 1991, soit pendant un demi-siècle. Les deux pays étaient essentiellement des excroissances de la vieille Europe, la fédération américaine s'étant formée à partir d'une douzaine de colonies britanniques sur la côte Atlantique , avant de s'étendre vers l'ouest, jusqu'aux rives occidentales de l'océan Pacifique. La fédération soviétique, elle, était essentiellement centrée sur la Russie d'Europe, ainsi que ses dépendances est-européennes et centre-asiatiques, sans parler de son prolongement sibérien s'étendant jusqu'aux rives occidentales de l'océan Pacifique.

Les USA, une puissance essentiellement maritime, comme l'était l'Empire britannique qu'il remplaçait comme puissance prééminente du monde, se présentaient comme le porte-étendard du système capitaliste. L'URSS, une puissance essentiellement terrestre, se voulait le porte-étendard d'un mouvement communiste mondial. La Chine populaire, elle aussi une puissance essentiellement terrestre, née d'une longue guerre civile, s'est rapidement jointe à l'Union soviétéique au sortir de la Deuxième guerre mondiale, créant un énorme bloc communiste dominant toute l'Eurasie, de Berlin-Est à Canton. En face, se trouvait essentiellement une coalition capitaliste occidentale, joignant l'Amérique du Nord et l'Europe de l'Ouest.

Le duel sans pitié qui s'est alors amorcé, à partir de 1945, a révélé la puissance économique prédominante de l'Amérique et de ses alliés, une supériorité qui a finalement entraîné l'éclatement de l'URSS en 1991 et la fin de la Guerre froide entre ces deux champions qui se partageaient le monde. Certains historiens ont alors annoncé la fin de l'histoire mondiale, alors qu'il s'agissait simplement de la fin d'un chapitre et du début d'un autre. Ce nouveau chapitre a été marqué par une période de multipolarité. Les USA, la Russie, la Chine, l'Inde, le monde arabo-musulman, le monde européen, les pays d'Afrique noire et ceux d'Amérique latine s'agitaient alors d'une façon plus ou moins chaotique, sans ordre apparent.

Une nouvelle bipolarité, celle qui marquera sans doute tout le XXIe siècle, était pourtant déjà émergeant et perceptible. La Chine, en particulier, dynamisant son économie par une bonne dose de libre entreprise, remplaçant le communisme par le socialisme, afin d'éviter le sort de l'URSS, a alors connu une période prodigieuse d'essor économique, de 1991 à 2021, analogue aux Trente-Glorieuses qui ont marqué la reconstruction de la France, de 1945 à 1975. De puissance moyenne, elle est devenue peu à peu la seconde puissance économique mondiale, derrière une Amérique avançant, en comparaison, à la vitesse d'une tortue et montrant même, lors de la présidence de Donald Trump, l'ampleur de ses fractures et divisions internes, ainsi que les limites de plus en plus apparentes de son ancienne et impérieuse domination économique, politique et militaire.

Aujourd'hui, en 2021, il est possible de discerner l'émergence de deux grands blocs, un essentiellement d'ordre maritime, centré sur les États-Unis, ceux-ci s'appuyant sur les quatre royaumes britanniques et se délimitant une chasse gardée en Amérique latine. Le bloc américain est constitué des deux masses continentales de l'hémisphère américain, ainsi que des îles, archipels et chapelets d'îles qui entourent, encerclent et enserrent l'ensemble continental formé par l'Asie, l'Europe et l'Afrique. Ainsi, les océans Atlantique et Pacifique doivent maintenant être considérés comme de vastes fossés protégeant la forteresse des Amériques et reliant celle-ci aux avant-postes surveillant de près le super-continent Afrique/Eurasie, des fossés bien gardées par les forces navales américaines et les forces navales des quatre royaumes britanniques.

En face, se trouve le bloc chinois, encore en formation, pas tout à fait cristallisé mais en voie de se mettre en place, sous la direction de stratégies longuement élaborées et soigneusement appliquées par le gouvernement chinois, adepte d'une planification à long terme. Ce bloc couvrira éventuellement la quasi-totalité du super-continent Afrique/Eurasie. Il sera centré sur la République populaire de Chine et l'influence de celle-ci se fera sentir par l'intermédiaire de deux grandes triades, une triade d'ordre économique et une triade d'ordre politico-militaire.

La première triade, la triade économique, c'est celle formée par la Chine rouge, l'Union européenne et l'Union africaine, plus précisément les pays de l'Afrique noire. Ces trois grands secteurs géographiques forment les trois grands pôles constituant le fondement même de la stratégie chinoise, au plan économique. Il y a d'abord un pôle principal de production, la Chine rouge. Il y a ensuite deux pôles principaux de consommation, un en Europe et un en Afrique noire. Selon toutes apparences, la Chine doit aussi devenir éventuellement un troisième pôle de consommation, en plus de rester un pôle de production.

La deuxième triade, la triade politico-militaire, c'est celle formée par la Chine rouge, la Russie et l'Iran. Les liens entre les deux premiers remontent à loin, plus précisément à la période séparant les deux Guerres mondiales, alors qu'une alliance se concluait entre le parti communiste russe (au pouvoir) et le parti communiste chinois (tentant désespérément de survivre dans un environnement difficile). Les liens entre la Chine et l'Iran sont d'un autre ordre, plus pragmatique, découlant de l'hostilité viscérale entre la République américaine et la République islamique depuis la révolution iranienne de 1979. Le pacte conclu tout récemment entre l'Iran et la Chine, pour une période de trente ans, vient simplement concrétiser l'alliance étroite existant de longue date entre les deux puissances. Il est important de bien remarquer que l'Iran et la Russie forment une sorte de mur, solide et difficilement pénétrable, entre la portion est-asiatique du super-continent et la portion européenne et africaine, constituant ainsi une muraille terrestre qui isole et protège la République populaire de Chine, ainsi que tout l'est de l'Asie.

Par ailleurs, ces deux pays, Iran et Russie, forment aussi une partie du grand dispositif de transport qui relie (aux plans routier et ferroviaire) la Chine, le pôle de production du tripode, et les deux pôles de consommation qui se trouvent à l'ouest du super-continent, soit l'Europe et l'Afrique noire. Ces nouvelles routes de la soie, parcourues sans cesse par des camions et des trains, permettent en effet le transport rapide, efficace et économique des marchandises entre les centres de production et les centres de distribution et de vente en gros et au détail.

Entre la Chine et l'Europe, ces routes de la soie empruntent le territoire russe, mais aussi celui de l'Asie centrale, composé de cinq républiques ex-soviétiques. Certaines indications circulant dans la presse européenne, non-confirmées, laissent entendre que la Chine pourrait même envisager d'utiliser l'Asie centrale comme déversoir pour son énorme population. Une telle chose, si elle était avérée, viendrait bouleverser tout le portrait ethno-linguistique du centre de l'Asie. La population ethniquement chinoise ('han') est déjà majoritaire dans la région autonome du Xinjiang (l'ancien Turkestan oriental), peuplée originellement par les Ouïgours turcophones. Pour sa part, l'Asie centrale (l'ancien Turkestan occidental) est occupée par des populations turcophones (Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbekistan et Kirghizistan) et persanophones (Tadjikistan), relativement peu nombreuses. Il faut aussi noter qu'entre la Chine et l'Afrique, ces routes de la soie empruntent le pont terrestre formé par le territoire pakistanais et le territoire iranien, pour se rendre jusqu'aux portes du Moyen-Orient, arabophone, puis aux pays arabophones de l'Afrique du nord et les pays de l'Afrique noire.

Aux routes de la soie terrestres, viennent s'ajouter les routes de la soie maritimes, reliant les ports chinois (de gigantesques complexes portuaires répartis du nord au sud tout le long du littoral de l'Empire du milieu) aux ports européens. Cette liaison se fait via la mer de Chine méridionale (une zone protégée par un chapelet de nouvelles bases militiares chinoises), puis le détroit de Malacca, l'océan Indien et la mer Rouge (sous la protection d'une base navale chinoise située à Djibouti -la seule implantation militaire chinoise hors du territoire national-), avant de rejoindre les ports du sud et du nord de l'Europe. Vers l'Afrique, le chemin est encore plus court, entre les ports de Chine et les ports de la côte est du continent noir.

Un gigantesque ensemble économique est ainsi en train de voir le jour et de se développer sur l'ensemble du super-continent formé par l'Asie, l'Afrique et l'Europe. Le seul pays échappant à ce vaste maillage et réseautage, c'est l'Inde, l'unique puissance qui, grâce à son poids démographique, politique et économique, peut contrecarrer et s'opposer réellement à la grandissante main-mise chinoise sur l'ensemble du super-continent. La Chine veille au grain, cependant, encerclant lentement l'Inde par l'ouest (l'alliance avec le Pakistan), le nord (la chaîne montagneuse de l'Himalaya et le gouvernement maoïste du Népal), l'est (le coup d'État militaire en Birmanie) et le sud (l'influence grandissante sur le Sri Lanka, illustrée entre autres par les installations portuaires reprises récemment par la Chine). L'Empire du milieu a ainsi réussi à placer l'Inde dans une belle boîte bien carrée.

Pendant ce temps, le nouveau président de la République américaine, apparemement incapable de saisir les réalités émergentes, s'attend à voir son pays reprendre son ancienne place à la pointe de la pyramide des nations. Il est vrai que les USA peuvent compter sur l'appui actif des quatre royaumes britanniques et ce, d'autant plus que le Royaume-Uni s'est dégagé récemment de l'Union européenne pour mieux reprendre les rênes de son avenir. Pour sa part, l'Australie, épaulé de la Nouvelle-Zélande, s'articulent avec le Japon et l'Inde pour tenter de contre-balancer l'émergence chinoise sur le Sud-Est asiatique. De son côté, le Canada, cinquième pays de l'Anglosphère, couvre tout le flanc nord du dispositif américain, face à la Russie, de l'autre côté de l'océan Arctique. Les pays de l'Anglosphère s'entraident donc l'un l'autre et peuvent aussi compter sur les pays formant un chapelet d'îles s'échelonnant devant la façade orientale de l'Asie, dans un axe joignant le Japon à Taiwan, puis aux Philippines et à l'Indonésie. À long terme, il faut sans doute prévoir que l'influence chinoise finira par s'engouffrera progressivement dans tout le corridor formé par le Sud-Est asiatique (les pays de l'ASEAN), entre l'océan Indien et l'océan Pacifique, jusqu'aux côtes australiennes.

Il serait difficile de nier que la Chine s'est intelligemment et habilement taillée une place enviable sur l'échiquier mondial. Sans tirer un seul coup de feu, elle est en train de s'emparer pacifiquement de la plus grande partie de la surface émergée de la planète, là où elle pourra, à son gré, à son rythme et à son bénéfice, peaufiner et raffiner tout le dispositif économique qu'elle est en train de construire avec une admirable patience. Bien évidemment, la prééminence économique sera éventuellement suivie d'une prééminence politique, puis celle-ci sera consolidée et renforcée par une prééminence militaire. Pendant ce temps, le bloc américain, toujours en réaction, semble bien mal placé pour parvenir pacifiquement à inverser les tendances fondamentales qui se dévoilent peu à peu et trouver une façon d'empêcher l'Empire du milieu d'atteindre peu à peu ses objectifs à très long terme.

La situation actuelle n'est pourtant pas sans danger. Clairement et manifestement, la Chine n'a nul intérêt, nulle intention et nulle envie de déclencher un conflit armé, la paix lui profitant bien assez. Ce n'est toutefois pas le cas du bloc américain, probablement appelé à perdre de la vitesse au fur et à mesure que l'Empire du milieu avancera vers ses buts. Il faut souhaiter que le monde de demain, celui de mes enfants et de mes futurs petits-enfants, aura assez de sagesse pour éviter les erreurs du passé et saura prévenir les dérapages et les mauvais calculs qui ont ponctué l'histoire humaine au fil des siècles et des millénaires...

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