L'HISPANISATION DE L'AMÉRIQUE DU NORD

La composition ethno-linguistique de l'hémisphère américain est chose complexe.
Il y a deux grands blocs de base : l'Amérique de langue romane (essentiellement composée de l'Amérique latine et du Canada français) et l'Amérique germanique (essentiellement composée de la partie anglophone de l'Amérique du Nord, une portion en situation de décroissance démographique). Il y a aussi un troisième bloc, de plus petite taille et assez hétéroclite.

I

Commençons par ce troisième bloc. Il est disparate et dispersé, aussi bien dans le temps que dans l'espace, tout à la fois. Il est dispersé par ceci qu'on retrouve ce type de langues un peu partout, à travers l'espace antillais, d'abord, mais aussi sur l'ensemble des trois Amériques (du Nord, du Centre et du Sud). Il est disparate par ceci qu'il inclut des langues présentes dans l'hémisphère depuis des millénaires, ainsi que des langues peu répandues et introduites durant l'époque coloniale, tout comme des langues arrivées en terres américaines à des dates bien plus récentes.
Ces dernières langues proviennent d'à peu près tous les pays souverains et territoires non souverains du monde. Elles sont parlées par des immigrants plus ou moins récents, plus ou moins nombreux, vivant généralement dans les grandes villes des deux continents. Il n'y a pas de liste existante, mais, s'il y an avait une, elle incluerait le japonais au sud du Brésil, le mandarin à Toronto, le pundjabi à Vancouver, le grec a Montréal, le russe à Brooklyn (New York), le coréen à Los Angeles, l'haïtien à Miami (et à Montréal-Nord), l'allemand dans une région centrale du Texas, l'ukrainien en Saskatchewan, l'arabe à Dearborn (en banlieue de Détroit), ainsi que dans le secteur Gatineau de la ville de Gatineau (Québec), ou le somali à Minneapolis (et à Ottawa). La liste est évidemment loin d'être épuisée, mais il faut bien finir quelque part. Pourquoi est-ce comme cela? Tout simplement parce que les deux continents américains sont des terres de colonisation relativement récentes, un peu comme l'Australie ou la Nouvelle-Zélande. Les régions et agglomérations qui s'y trouvent connaissent, depuis le XIXe, une bonne santé économique favorisant la venue de migrants, ceux-ci formant alors des communautés plus ou moins assimilées au plan linguistique. Les grandes langues du continent noir et des peuples négroïdes d'Asie et d'Australie sont aussi représentées, à l'occasion de vagues d'immigration très récentes, comme le ouolof, le swahili, le yoruba, le fon ou d'autres. Les autres, plus petites, c'est-à-dire moins nombreuses en locuteurs, sont à peu près les seules à ne pas figurer sur la liste des langues présentes dans les Amériques.
On y retrouve aussi des langues introduites indirectement, lors de l'ère coloniale ou post-coloniale, mais non romanes et non germaniques. On peut penser au basque, présent dans certaines régions de l'Ouest américain ou ailleurs dans le monde hispanophone, ici et là. On peut penser aussi au gallois, une langue celte apparentée au breton de la Bretagne française, présent dans une toute petite région de l'Argentine, près de l'Atlantique. Il y a aussi l'écossais, lui aussi une langue de la famille celte, parlée en Nouvelle-Écosse, particulièrement sur l'île du Cap-Breton, mais aussi en certains secteurs de Terre-Neuve, une île peuplée majoritairement par des Irlandais.
Enfin, dans ce bloc de langues disparates et dispersées, il faut aussi mentionner les langues de ceux et celles qui vivent sur ces continents depuis des milliers de lunes et qui y sont arrivées par le passage de la Béringie. Ces premiers peuples se sont répandus vers le sud et l'est, occupant progressivement toute l'Amérique du Nord, l'un d'entre eux faisant même irruption dans la péninsule mexicaine de Baja-California pour aller jusqu'au fond de celle-ci et aller buter sur l'océan à l'extrémité sud, tout au bout, dans un genre d'impasse, les peuples qui le suivaient venant s'empiler l'un à la suite de l'autre, se refoulant ainsi jusqu'à la frontière de la Californie américaine actuelle.
Les peuples amérindiens ont continué à se diriger vers le sud, par l'entonnoir mexicain, puis le conduit centro-américain, avant de déboucher en Amérique du sud et de s'y se propager un peu partout. Certains d'entre eux ont même remonté la chaîne des Antilles vers le nord, puis l'ouest, jusqu'à Cuba, alors que d'autres continuaient toujours plein sud, jusqu'à venir percuter l'extrémité du monde humain sur la planète, soit la Terre de feu, mettant ainsi un terme au peuplement progressif de l'ensemble des terres émergées de Terra (exception faite des glaces et des neiges de l'Antarticque, là où n'existent encore maintenant que des bases scientifiques ou militaires).
Les ancêtres du tout dernier peuple à arriver en terre américaine avant la colonisation européenne, les Inuits, quant à eux, se sont répandus d'ouest en est, d'îles en péninsules, de presqu'îles en caps, tout le long de l'Arctique américain, canadien et danois, jusqu'aux régions orientales du Groenland européen. Les Inuits se sont ainsi étendus sur trois continents à la fois, de l'extrême-orient russe en Asie (quelques villages isolés) à l'Alaska, puis dans le nord canadien, où se trouvent aujourd'hui deux structures politiques spécialement aménagées par le gouvernement fédéral pour accommoder les Inuits du Grand nord, ainsi que deux autres nouvelles structures politiques érigées dans les provinces du Québec (Nunavik) et de Terre-Neuve, afin de couvrir l'ensemble des établissements inuits canadiens, sans oublier le Groenland déjà mentionné.

II

Cela étant posé, le bloc de base des langues romanes, celui d'Amérique latine, de certains coins des Antilles et d'Amérique du Nord, notamment l'ensemble du Canada francophone, est celui qui représente le plus grand nombre de locuteurs totaux, à travers toutes les Amériques. À lui seul, le Brésil, de langue portuguaise, a atteint récemment la barre des deux cents millions d'habitants, alors que le Mexique représente une population de près de 130 millions de personnes. Ces deux géants, à eux deux, ont presqu'autant de population que l'ensemble des États-Unis d'Amérique, alors que le Canada, dont la populatione est tirée par l'arrivée annuelle d'un quart de million de migrants, ne parvient même pas à surpasser la population de l'Argentine, lui aussi un solide pays d'immigration, notamment italienne.
Il y a deux sous-blocs majeurs à l'Amérique romane : l'Amérique hispanophone, regroupant tous les pays de langue espagnole (et ils sont nombreux), entre le rio Grande del Norte (faisant frontière entre le Mexique et les USA) et la Terre de Feu, partagée entre l'Argentine et le Chili, tout au bout du cône sud de l'Amérique du Sud. Ajoutons aussi Cuba, la République dominicaine et (c'est discutable) Puerto-Rico, l'île conquise par les Américains dans la mer des Caraïbes. L'autre sous-bloc, c'est bien sûr celui formé par le seul Brésil, une contrée gigantesque de par sa taille géographique et démographique. De langue portuguaise, ce pays fait en sorte que le monde lusitanophone n'est pas quantité négligeable sur le globe terrestre, de Lisbonne à Macao, en passant par Sao Paulo, Luanda et Maputo.
Parlons un peu du Canada, maintenant, ce membre improbable de l'Amérique romane. Même s'il peut paraître inhabituel de voir les choses ainsi, les villages acadiens et canadiens-français qui parsèment les campagnes canadiennes, de Port-au-Port (faisant partie de l'Acadie française, en Terre-Neuve-et-Labrador) à Maillardville (faisant partie du Canada français, en Colombie-Britannique), représentent en réalité les avant-postes les plus nordiques de l'Amérique latine, au plan géoculturel, bien qu'ils soient nettement dans le nord de l'Amérique du Nord, au plan strictement géographique de cette expression.
Le Canada français est à l'aube d'un changement démographique majeur, alors que la population canadienne française, menacée dans sa survie collective par un taux de natalité dramatiquement bas, est appelée à se fondre progressivement dans la masse des Néo-Canadiens et/ou Néo-Québécois, formée des immigrants les plus récents, présents en grappes compactes à Montréal, mais aussi à Québec et à Gatineau-Ottawa. Cette masse est moins nombreuse mais plus prolifique que la population d'origine française et, de leur confluence, naîtra progressivement un tout nouveau peuple, grpupemenmétissé des Français d'origine et des peuples de l'arc-en-ciel qui composent l'essentiel des nouveaux-arrivants.
Ajoutons que le français est aussi parlé en certains autres coins des Amériques, dont le Maine (soit la pointe nord, faisant culturellement partie de l'Acadie francaise, et la partie sud, dont certaines villes et certains quartiers font encore partie du Canada français au plan culturel, tout comme bien d'autres localités de la Nouvelle-Angleterre); la Louisiane cajun (encore environ 200 000 locuteurs, formant un groupe où le français reprend du poil de la bête et connaît même une faible croissance); les Antilles( incluant les solides bastions que sont la Guadeloupe et la Martinique); sans oublier la Guyane française (patrie de Papillon, de l'île du Diable et d'Ariane V). Toujours dans les Antilles, les îles anciennement espagnoles de la Jamaïque et de Trinidad, conquises, sont maintenant anglophones. De même, la portion ouest de Saint-Domingue, conquise par la France, est maintenant occupée par une population noire parlant l'haïtien (mélange de français et de langues africaines et autres), dont une minorité (environ 40 %) parle aussi le français.

III

Passons au troisième bloc, celui des langues d'origine germanique, notamment la plus connue et la plus répandue, l'anglais, au Canada et aux États-Unis. Ce bloc est surtout, au plan démographique, notable par sa faiblesse du taux de natalité de sa population d'origine européenne, tout comme dans le cas du Canada français. Pour ce qui est du Canada anglais, les vieilles tentations assimilatrices des Canadiens anglais, envers les Canadiens français, reprennent forme, mais cette fois-ci envers les immigrants s'installant dans les grandes villes anglophones du nord du continent, de Vancouvert à Toronto. Le vieux concept états-uniens du 'melting pot' est ici repris pour s'assurer que ces masses migrantes s'intègrent progressivement à la majorité canadienne-anglaise, en vue d'en partager la langue et la culture.
Un mot pour la portion de l'arc antillais qui s'étend entre les îles Vierges porto-ricaines et l'île de Trinidad. On y trouve plusieurs langues où celles de la famille linguistique germanique (anglais  néerlandais) dominent, mais qui incluent aussi le français, l'espagnol, des langues de l'Inde et une langue autochtone (carib).
Dans le cas des États-Unis d'Amérique, le 'melting pot' du XIXe siècle connaît des ratés majeurs. Les Afro-Américains forment un bloc assez stable, démographiquement, tournant autour de 12 à 15 % de la population totale. Les personnes d'origine asiatique constituent un groupe très dynamique, en forte croissance démographique, mais avec une base de départ assez étroite, leur nombre total demeurant relativement peu élevé.
Le phénomène le plus important, aux États-Unis, au plan démographique, c'est certaonement la croissance forte et soutenue du groupe de langue espagnole, due surtout à la proximité géographique de l'Amérique hispanophone, à la pauvreté relative de celle-ci et du pouvoir attractif important de l'Amérique anglophone.
Cette croissance a été documentée et étudiée en profondeur. Notons seulement que les gens d'origine mexicaine deviennent de plus en plus nombreux dans le sud-ouest américain, de la Caclifornie au Texas, là où l'Empire espagnol/mexicain s'étendait autrefois. Les gens d'origine cubaine abondent dans le sud de la Floride, alors que les Porto-Ricains sont nombreux à New York, dans le New Jersey, à Chicago et dans plusieurs villes du nord-est des États-Unis.
Les USA sont d'ores et déjà le deuxième pays hispanophone au monde, derrière le Mexique. D'ici 2050, soit une génération et demi, ils trôneront  au tout premier rang des pays comptant le plus de locuteurs de la langue de Cervantes, soit DEVANT le Mexique. Cela donne le vertige et cela donne aussi un tout nouvel éclairage aux tentatives d'un Donald Trump de renverser le cours de l'histoire en barrant le chemin aux émigrants d'Amérique centrale, rassemblés en 'caravanes' de la pauvreté pour atteindre le pays de cocagne qu'est à leurs yeux l'Amérique. Actuellement, il y a 62 millions d'hispanophones en Amérique, en comptant les locuteurs natifs, les Américains bilingues et les immigrants en situation illégale. C'est énorme, surtout si l'on tient compte que les USA sont le troisième plus populeux pays au monde. Le quart de tous les enfants américains sont de langue espagnole et la moitié des enfants californiens le sont déjà. De là à ce que la langue espagnole reçoive éventuellement un statut semi-officiel aux USA, il n'y a guère qu'un pas à franchir.
Donnons un seul exemple concret pour illustrer la folle croissance de la langue espagnole aux États-Unis. Mentionnons donc le cas de l'Idaho, situé dans une région de montagnes, au coin nord-ouest du pays, très loin des anciennes limites frontalières mexicaines, dans ce qui constituait autrefois le pays de l'Orégon, départagé entre les Britanniques et les Américains.
Surtout célèbre pour la beauté de ses paysages et la culture de la pomme de terre, l'Idaho a une population de 1,8 million d'habitants (2019). En 2017, la proportion des Hispaniques atteignait déjà 12 % de la population totale, malgré l'éloignement des principales zones de peuplement hispanophone. Signalons que la proportion des naissances dans la communauté de langue espagnole se maintient au-dessus de 16 % d'une façon très stable, depuis 2014, ce qui ne tient pas compte de l'arrivée de nouveaux hispanophones venant s'établir dans cet État. D'ores et déjà, certains secteurs sont devenus majoritairement mexicains, soit tous les comtés du coin sud-ouest de l'État, plus certains autres comtés situés près du Montana et au centre-sud de l'Idaho. Les autres nationalités dominantes sur ce territoire sont les gens d'origine anglaise (dans le  quart sud-est, là où se trouve aussi une importante zone mormonne, extension culturelle du Deseret mormon qui couvre les vallées s'étendant nord-sud entre les cordillères des Rocheuses, de l'Arizona à l'Utah, l'Idaho et le Wyoming) et les gens d'origine allemande, c'est-à-dire tout le reste de l'État, y compris son extrémité montant vers la frontière canadienne.

Commentaires

  1. Bon þexte, très instructif.Bonne analyse. Cher ami le texte m'a paru court même s'il est long.

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