LA CHINE ET LES FLUX COMMERCIAUX

 


GÉOPOLITIQUE - LA SURFACE DE TERRA

Comme nous l'avons vu dans l'article ''LE GRAND DUEL SINO-AMÉRICAIN : ESPOIRS ET DANGERS'', la Chine travaille présentement à construire un grand ensemble économique regroupant essentiellement l'Afrique, l'Europe et l'Asie, laissant l'hémisphère américain aux États-Unis, en perte de vitesse, mais empressés de tenter de reprendre la barre des affaires du monde, appuyés de leurs alliés naturels, sous la forme des quatre royaumes britannique que constituent le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

La Chine se pose ainsi en centre vital du supercontinent afro-eurasien, dont il est l'atelier et un centre de consommation majeur, et se donne deux pôles économiques secondaires, un premier en Europe (particulièrement l'Union européenne, bien peuplé et encore forte et influente, malgré des reculs successifs par rapport aux puissances émergentes), un second en Afrique (particulièrement l'Afrique noire, promise à un bel avenir démographique et économique, au cours des prochaines décennies). L'Europe (occidentale et centrale) et l'Afrique (noire) sont ainsi appelés à devenir des centres de production et de consommation desservis et alimentés par l'Empire du milieu. De même, la Chine s'est donné des relais utiles sous la forme d'alliances étroites avec la Russie et l'Iran, les trois pays formant une triade politique et militaire incontournable. La Russie et l'Iran forment ensemble un mur très solide isolant et protégeant toute la partie orientale de l'Asie, tout en constituant des éléments importants des futurs 'ponts terrestres' entre la Chine et les deux pôle secondaires situés en Europe et en Afrique, le long des fameuses ''routes de la soie'' 2.0., lesquelles ne sont pas encore en fonction, du moins pour leur portion terrestre.

Depuis le commencement du miracle chinois, au début des années '90, la locomotive économique de l'Empire a pris le départ sous la poussée d'une croissance industrielle soutenue, épaulée par des exportations massives de produits accessibles et peu dispendieux, dans le cadre d'un commerce intense avec le reste du monde, et ce, jusqu'à nos jours, avec l'apport du déploiement prodigieux d'infrastructures majeures (aéroports, ports, parcs industriels, ponts, barrages, réseau serré d'autoroutes, de canaux, de lignes de chemin de fer ordinaires et de lignes de chemin de fer à grande vitesse, etc.).

Jusqu'ici, les flux commerciaux chinois ont pris place à partir de la façade maritime du pays, à l'est, à l'aide d'une série de super-ports qui comptent parmi les plus importants du monde, du nord au sud de la côte orientale, avec notamment deux grosses grappes, soit celle qui est située à l'embouchure de la rivière des Perles (Canton-Shenzen-Hong-Kong-Macao) et celle qui est située à l'embouchure du Yangtzé (Shanghai-Ningbo). Ces ports et les navires qui les fréquentent ont permis à la Chine de profiter d'un moyen de transport particulièrement efficace, économique, sûr et pratique, notamment en ce qui concerne les conteneurs, véritables fourre-touts du monde moderne. Aucun pays du monde n'échappe au commerce chinois et les exportations de l'Empire du milieu inondent tous les marchés, grâce à leur qualité et leurs bas prix. Les perspectives d'avenir sont bonnes à cet égard, puisque la Chine développe présentement des produits plus complexes et plus avancés, telles que les voitures, notamment celles propulsées à l'électricité. Lorsque ces technologies seront bien maîtrisés et que les compagnies chinoises auront fait leurs preuves et leurs premières conquêtes sur le marché intérieur national, dont la taille est évidemment immense, les voitures 'Made in China' inonderont le monde moderne et deviendront aussi incontournables que les voitures japonaises et coréennes le sont devenues de nos jours, sinon davantage, et ce, un peu partout. À plus long terme, la même chose est à prévoir dans le domaine de l'aviation, une industrie particulièrement exigeante et complexe, dominée essentiellement par deux gros joueurs, l'européen Airbus (en bonne santé) et l'américain Boeing (en perte de vitesse depuis quelques années), ainsi que des joueurs secondaires, notamment au Brésil, en Russie et au Japon. Ici aussi, les compagnies chinoises pourront éventuellement bénéficier d'économies d'échelle importantes et de l'accessibilité d'un marché intérieur immense.

La situation politique étant ce qu'elle est, caractérisée par une rivalité économique et politique grandissante et intense avec les États-Unis et leurs alliés anglophones, les Chinois visent maintenant à cristalliser leur influence sur une zone géographique aisément défendable et à portée de leurs frontières. Avec beaucoup de prescience, un bon sens de l'anticipation et une fine compréhension de l'évolution des choses, ils entendent profiter du découplage prévisible entre le bloc européen et l'hémisphère américain, ainsi que du potentiel économique impressionnant de l'Afrique, futur point focal du monde de demain, avec une population qui comptera éventuellement pour le tiers de la population mondiale, d'ici à quelques décennies. L'Afrique, surtout l'Afrique noire, sera éventuellement au reste du monde ce que l'Asie a été pour la planète au cours des siècles passées, soit le centre de gravité démographique.

Pour resserrer les liens à l'intérieur de l'Afro-Eurasie, les Chinois ont mis au point la formule dite des nouvelles routes de la soie, avec une composante terrestre et une composante maritime. Qu'en est-il exactement? Il s'agit surtout (pour la composante terrestre) de l'établissement de ponts entre le Sinkiang et l'Europe (de l'ouest et du centre) et entre le Sinkiang et l'Afrique (noire, surtout). L'entreprise n'est pas facile et doit commencer par la formation de corridors de continuité territoriale entre les trois futurs pôles du super-continent. Deux obstacles majeurs se présentent ici et la diplomatie américaine a bien repéré ces faiblesses et a entrepris de capitaliser sur leur exploitation, afin de ralentir la locomotive chinoise et se donner le temps de tisser de nouveaux réseaux d'alliances, notamment la Quad orientale (USA, Australie, Inde et Japon) et la Quad occidentale (USA, Royaume-Uni, France et Allemagne).

La route de la soie 2.0 entre l'Europe et le Sinkiang passe par l'Asie centrale, la Russie et l'Europe de l'est, en vue d'atteindre ses objectifs, soit l'Europe de l'ouest -dominée par la France- et l'Europe centrale -dominée par l'Allemagne-). La France et l'Allemagne, bien sûr, constituent le tandem de base de l'Union européenne, le moyeu central, autour duquel s'articule le développement de ce bloc politique et économique encore en voie de formation. L'obstacle que doit surmonter la Chine et son allié russe, c'est l'Europe de l'est, constitué des anciens pays dominés par l'Union soviétique (Pologne, Hongrie, Roumanie, etc.) et des anciennes républiques soviétiques de l'ouest (pays baltes, Biélorussie, Ukraine, Moldavie, etc.). Ces territoires sont généralement pro-américains, réfractaires à la Russie et à ses visées, intégrés à l'Organisation de l'Atlantique Nord (ou désireux de l'être) et intégrés à l'Union européenne (ou désireux de l'être). La Russie, pour approvisionner l'Allemagne en gaz naturel, a ainsi dû contourner l'obstacle en construisant un premier gazoduc sous les eaux de la mer Baltique et a connu de grandes difficultés pour en terminer un deuxième, malgré l'assentiment et la coopération du gouvernement allemand, à cause essentiellement de l'attitude hostile des États-Unis devant toute intrusion dans ce que ce pays considère comme sa zone d'influence exclusive et privilégiée.

L'attitude russe face à la Biéolussie et à l'Ukraine doit être comprise sous l'angle de cette situation. La Russie ne veut pas (et ne peut pas) lâcher le gouvernement pro-russe de la Biélorussie, ni permettre au gouvernement pro-occidental de l'Ukraine de se ranger du côté de l'ouest. La Russie tient d'ailleurs l'Ukraine dans un étau bien solide, au plan géopolitique, avec deux petites républiques dissidentes pro-russes à l'est, la Crimée reprise sur l'Ukraine au sud, la Transnistrie pro-russe à l'ouest et la Biélorussie officiellement pro-russe au nord, sans parler de la présence de fortes minorités linguistiques russes à l'est et au sud du territoire ukrainien actuel.

La situation dans ce secteur est particulièrement importante pour la Russie, étant donné que ces deux territoires sont occupés par deux des trois branches du peuple russe originel (celui de l'ère tsariste, avant la révolution russe de 1917). La Russie (la contrée des Grands-Russes, selon les termes de la nomenclature diplomatique française d'autrefois), l'Ukraine (la contrée des Petits-Russes, selon les mêmes termes) et la Biélorussie (la contrée des Russes-Blancs -blancs dans le sens de libres, peut-être parce que plus proches géographiquement des pays européens-) forment un trio de pays voisins, occupés par les trois branches d'un grand peuple devenant progressivement trois peuples distincts et différents. Ici, il faut souligner que ce n'était pas pour rien que la Biélorussie et l'Ukraine comptaient des sièges particuliers à l'Organisation des Nations-Unies, aux côtés de la Russie (l'Union soviétique était en effet le seul pays à y disposer de trois sièges, au lieu d'un seul). C'étaient tout simplement parce que les trois républiques socialistes soviétiques qu'étaient la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine de l'époque étaient proche parentes au plan ethnique et que l'octroi de trois votes permettait aussi de renforcer l'Union soviétique devant le nombre élevé de pays occidentaux disposant chacun d'un vote. La langue de ces trois peuples, autrefois des dialectes, est en voie de devenir lentement des langues différentes, de plus en plus inintelligibles entre elles. La Russie espère sans doute, dans ce dossier, que les différences politiques actuelles ne fassent pas oublier aux Biélorusses, ni aux Ukrainiens, leur appartenance à un même espace social et leur droit à l'héritage historique glorieux de la Sainte-Russie impériale. Pour le dire autrement, d'une façon plus simple, les trois Russies, aux yeux de Vladimir Poutine et du gouvernement de la Fédération russe, sont trois soeurs et doivent le demeurer...

En ce qui touche le pont terrestre devant un jour desservir et faciliter le commerce entre la Chine et l'Afrique noire, il bute lui aussi sur un obstacle majeur, mais plus difficile à résoudre, soit le Moyen-Orient. Ce corridor passe par le Sinkiang, le Pakistan et l'Iran, se faufilant ainsi entre l'Inde et l'Afghanistan. Le remplacement prévisible du gouvernement pro-américain de l'Afghanistan par un gouvernement taliban, lequel s'alliera probablement au Pakistan, viendra renforcer et élargir ce pont. Par contre, à l'est, la présence de l'Inde, seule masse humaine assez lourde et complexe pour pouvoir contrecarrer sérieusement l'hégémonie chinoise sur le super-continent, demeure préoccupante, aux yeux de Beijing. L'Empire du milieu a réussi à l'encadrer brillamment, comme un jour de ''go'', avec le coup d'État militaire en Birmanie (Myanmar), formant ainsi une cage solide, comprenant le Pakistan à l'ouest, l'Himalaya et le Népal (dirigé par un gouvernement maoïste nouvellement élu) au nord, le Sri Lanka (la Chine y a des intérêts important et y contrôle un port stratégique) au sud et la Birmanie à l'est. À noter que l'appareil militaire birman, après le coup d'État, a aussitôt entrepris de resserrer ses liens avec l'appareil militaire thaïlandais, sur son flanc est, renforçant ainsi la mainmise chinoise qui se met place sur l'Asie du sud-est, avec le Laos et le Cambodge qui en sont déjà des éléments-clés. Éventuellement, l'influence chinoise descendra jusqu'à Singapour et se poursuivra jusqu'aux archipels les plus orientaux de l'Indonésie, venant éventuellement buter sur le caillou australien en fin de parcours. Il est à noter que la Chine a aussi commencé à bâtir un réseau de gouvernements amis, le long d'un axe allant de la Papouasie-Nouvelle-Guinée aux îles Tonga, créant ainsi un mur pouvant s'interposer entre les États-Unis et leurs alliés australiens et néo-zélandais. Le sort des Philippines est plus difficile à prédire, le gouvernement Duterte étant à la fois attiré (à causes des investissements chinois) et rebuté (à cause du récif de Scarborough) par l'Empire du milieu. 

L'Iran, pour sa part, s'est créé une zone d'influence allant vers l'ouest, jusqu'à la Méditerranée, dans l'axe Irak / Syrie / Liban. L'obstacle que représentent les pays arabes du Moyen-Orient et d'Israël demeure cependant entier. Ces pays sont tous des adversaires irréductibles et de longue date de l'Iran et la diplomatie américaine, sous le président Donald Trump (et encore aujourd'hui), joue sur ces différences pour bloquer l'établissement d'un pont terrestre se rendant jusqu'en Afrique, soit jusqu'aux pays arabes du nord de l'Afrique, puis aux pays de l'Afrique noire, plus au sud, en passant par le goulot d'étranglement que constitue la péninsule du Sinaï.

Pour la Chine, les problèmes que sont l'Europe de l'est et le Moyen-Orient sont de taille et expliquent plusieurs développements, dont la volonté de mettre d'abord en place les routes de la soie 2.0 maritimes. Dans le cas de l'Europe, ces routes de la soie passeront de plus en plus par le nord de la Russie, raccourcissant ainsi la distance de déplacement et rendant les va-et-vient des navires plus économiques, au coeur d'un Artctique de plus en plus accessible. Dans le cas de l'Afrique, elles passeront (et ont déjà commencé à passer) entre le sud de la Chine et la façade orientale du continent noir. Cet état de fait permet de mieux comprendre la militarisation des îles de la mer de Chine méridionale (archipels des Paracels et des Spratlys) et la création d'une base navale à Djibouti, située dans le goulot stratégique que constitue l'entrée sud de la mer Rouge, conduisant au canal de Suez. Il s'agit de la seule base militaire chinoise hors du territoire national. Plusieurs ports commerciaux du nord de l'océan Indien peuvent facilement être convertis en bases navales, que ce soit au Pakistan, au Sri Lanka, au Bangladesh ou en Birmanie, ce qui peut mettre ces routes maritimes relativement à l'abri, malgré une préoccupation grandissante de l'Inde envers ses forces navales. Le point faible du dispositif chinois demeure évidemment le détroit de Malacca, goulot d'étranglement d'une bonne partie du commerce mondial, entre la Malaisie et l'Indonésie. Le rôle que jouera Singapour, une cité-État dont la population est majoritairement chinoise, sise au beau milieu du détroit, avec des antennes importantes au nord du détroit (en Malaisie, notamment le pôle économique constitué par le port de Tanjung Pelepas) et au sud du détroit (en Indonésie, notamment le pôle économique de l'île de Batam et le pôle touristique de l'île de Bentan) sera certainement déterminant à cet égard.

À terme, lorsque la Chine aura complété la mise en place des routes de la soie 2.0, tant dans leur forme terrestre que dans leur forme maritime, elle aura assuré la création d'un bloc économique très puissant sur le super-continent afro-eurasien, capable aisément de dominer le bloc américain, centré essentiellement sur l'Amérique du Nord et les quatre royaumes britanniques, plus certains pays de l'Extrême-Orient (Japon, Corée du Sud, Taiwan), lesquels, d'ailleurs, seront sans doute tentés de ménager la chèvre et le chou, sans oublier l'Amérique latine, traditionnelle chasse gardée des États-Unis, mais dont la population et la classe économique pourraient voir les choses différemment de leurs gouvernements, alignés généralement sur les politiques américaines et souvent un peu trop portés à vouloir satisfaire les moindres désirs de Washington...

GÉOPOLITIQUE - L'ESPACE PROCHE (la Première frontière - l'orbite terrestre, la Lune, Mars)

La mise en place des flux commerciaux entre la Chine et le reste du monde sera certainement marquée par les péripéties difficilement prévisibles de la rivalité sino-américaine à venir. Cette rivalité prendra place ici sur Terre, mais aussi, de plus en plus, dans l'espace, cette nouvelle frontière dont l'exploration et la découverte laissent de plus en plus place, ces dernières décennies, à une mise en valeur progressive et un début encore très timide de colonisation. La disparition programmée de la station spatiale internationale et la création entamée de la future station spatiale chinoise (provoquée d'ailleurs par l'exclusion de la Chine de la station spatiale internationale) amèneront des réorientations majeures au niveau des capacités d'action et des moyens disponibles, ainsi qu'un réalignement à prévoir des diverses agences spatiales mondiales, entre un programme américain qui sera privé de la plateforme commune que représente la station spatiale internationale et un programme chinois qui disposera de sa propre plateforme et pourra inviter d'autres agences à se joindre à lui. Il est vrai que l'apparition du secteur privé dans le domaine spatial donnera un coup de fouet au programme américain, mais, à long terme, le programme chinois bénéficiera de moyens matériels grandissants, au rythme des progrès de l'économie de l'Empire du milieu, ainsi que de l'apport prévisible de firmes privées en nombre surprenant, sur le modèle de ce qui se produira sans doute au niveau de l'industrie automobile. La mise en place de bases de recherche et d'exploitation qui en découlera, en orbite ou sur la surface de la Lune et/ou de Mars, créera à long terme une économie commerciale basée sur l'utilisation des ressources et le tourisme. Les flux de cette économie varieront au gré des incidents et des développements à venir entre le bloc chinois et le bloc américain.



Commentaires



  1. L'auteur décortique très bien le texte. Excellent travail de recherche.

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