CHONGKING: FUTUR COEUR DE L'AFRO-EURASIE

Carte du découpage administratif de la Chine.
En rouge: la municipalité de Chongking, 
détachée de la province du Sichuan
(le territoire juste à l'ouest) en 1997.
 

Il y a vingt-cinq ans, en 1997, quelque chose de bizarre s'est produit.

Un territoire immense, bien trop grand à première vue, a été accordé à Chongking lors de l'érection de cette localité au titre de municipalité dépendant directement du pouvoir central, sur le modèle de Beijing, Tientsin et Shanghai. Contrairement à ces trois villes, le territoire municipal de la nouvelle entité, détachée de la province du Sichuan, comprenait une partie rurale dépassant largement l'espace bâti de l'agglomération de Chongking. Le secteur urbain de la municipalité comptait une dizaine de millions d'habitants, alors que le reste du territoire municipal en regroupait une vingtaine de millions d'autres.

Aujourd'hui, en 2022, les raisons possibles d'un territoire municipal aussi vaste commencent à devenir plus visibles. Tout laisse penser que le gouvernement chinois vise à recentrer l'organisation du pays, développer davantage les grands espaces presque vides de l'ouest de la Chine et, surtout, arrimer l'Empire du milieu à son futur hinterland économique.

Chongking est ainsi appelée à devenir le principal pôle de développement du centre de la Chine et, aussi, le principal point d'ancrage des routes de la soie terrestres, présentes et futures, conduisant vers l'Europe, l'Afrique, le sous-continent indien et le sud-est asiatique. Ces routes uniront étroitement toutes les terres faisant partie du triple continent afro-eurasien.

Les routes de la soie maritimes, les premières à avoir été aménagées, ont surtout favorisé le développement des provinces orientales de la Chine, un pays dont la façade océanique est maintenant parsemée d'une série de super-ports, du nord au sud, d'où partent les cargos et porte-conteneurs vers tous les pays du monde. Pour le pouvoir chinois, il était en effet bien plus facile d'aménager d'abord des routes commerciales maritimes pour alimenter les marchés d'exportation, comme l'Europe ou l'Afrique. En fait, dans le cas de l'hémisphère américain ou de l'Australie, inaccessibles par la voie terrestre, il n'y avait tout simplement pas d'autre choix envisageable.

À long terme, toutefois, il est bien plus avantageux, rentable et efficace de miser sur des liens terrestres (lire: ferroviaires), lorsque c'est possible, ce qui est le cas du reste de l'Asie, du sous-continent européen ou de l'Afrique. Pour cela, cependant, avant de construire quoi que ce soit, il faut commencer par définir et tracer des corridors de transport utilisant le territoire d'États qui soient alliés, amis, semi-amis ou, du moins, relativement neutres.

Ces corridors entre la Chine et le reste de l'Afro-Eurasie sont en train de prendre forme, peu à peu. Des services réguliers commencent déjà à être offerts, à raison de tant de voyages par semaine, à travers l'Asie centrale et la Russie, vers des destinations européennes, telle que la ville allemande de Duisburg, sise au centre d'un large réseau de distribution ferroviaire et fluvial. Ce genre de choses va se poursuivre et se multiplier au cours des prochaines années. La fin de la guerre ukrainienne devrait d'ailleurs avoir un effet positif au niveau de la croissance de ces échanges.

Des liaisons vers le sud-est asiatique, le sous-continent indien et le Moyen-Orient devraient aussi se multiplier dans l'avenir, suivies de la multiplication de liens menant vers les pays africains, notamment en passant par le Sinai, un territoire égyptien appelé à prendre une grande importance stratégique. Cette péninsule combinera en effet des liaisons maritimes dans le sens nord-sud (via le canal de Suez) entre la mer Méditerranée et l'Orient, et des liaisons terrestres dans le sens est-ouest (via les futures routes de la soie) entre l'Afrique et l'Orient, devenant ainsi un carrefour et un passage obligé pour toutes sortes de voies de transport et de communications (navires, camions, trains, gazoducs, faisceaux de fibres optiques, etc.).

Tout cela, bien évidemment et bien inévitablement, profitera à Chongking, la métropole chinoise la plus proche des terminaisons chinoises de toutes ces voies. Celles-ci se rendront à Chongking:

  • par le nord-ouest (via la région du Sinkiang, puis en suivant le corridor stratégique du Kansou, entre le plateau tibétain et le désert de Gobi),
  • par le sud-ouest, en provenance de l'Inde,
  • et par le sud, en arrivant des pays membres de l'Association des pays du sud-est asiatique (ASEAN, en anglais).

Ancrage de tous ces échanges, la ville de Chongking prendra sans doute une taille impressionnante au fil des années, avec l'ajout d'un grand nombre d'infrastructures (aéroports, parcs industriels, centres de recherches, cours de triage, entrepôts, etc.), au point d'occuper progressivement l'immense territoire qui lui a été attribué par le gouvernement il y a déjà un quart de siècle. Il se peut fort bien que tout cela ne soit au fond qu'une belle démonstration du fait que les Chinois aiment planifier à long, très long terme. En fait, il n'est pas impossible qu'un jour, Chongking ait pris tellement d'importance qu'elle finisse par remplacer Beijing comme siège du gouvernement central.

Toutefois, si jamais une telle chose se produit, ce ne sera sans doute pas avant la fin du XXIe siècle ou le début du XXIIe. Nous avons donc le temps de voir venir...


(Article composé à partir d'une série de twits publiés sur Twitter aujourd'hui, le samedi 15 octobre 2022.)




Commentaires

  1. Un article publié en 2019 par l'Association des Géographes Francais en parlait.
    https://journals.openedition.org/bagf/5457

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  2. Je suis allé vérifier sur le site de l'Association et , effectivement, dans le bulletin du troisième trimestre, il est question des routes de la soie et des corridors de transport entre l'Europe et la Chine. J'ai vu peu de choses, toutefois, sur Chongking comme tel.

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  3. Vos articles sont toujours intéressants à lire, et je me demande qu'avec une si belle plume, pourquoi vous n'écrivez plus dans des journaux ou revues.

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  4. Je suis trop vieux, j'imagine, à 62 ans. Aujourd'hui, j'écris pour mon plaisir, essentiellement, afin de meubler mes dernières années. J'aime bien la liberté d'écrire ce que je souhaite, sans rendre de compte à un rédacteur en chef ou un éditeur qui ne partagerait pas mes vues ou qui me trouverait trop extrême. Avec Blogger, je peux dire exactement ce que je pense, dans la mesure où je ne deviens pas à moitié cinglé ou assoifé de sang. C'est très motivant et très gratifiant d'écrire en prenant la responsabilité de ce qui est écrit. Je fait beaucoup d'efforts pour faire rayonner le blogue et j'apprécie aussi de voir le lectorat grandir peu à peu. Je me dis qu'ils y trouvent quelque chose d'utile ou d'intéressant.

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