L'ÉCLAIREUR
Je ne suis pas Charlemagne, fier empereur du peuple franc. Je ne suis pas Napoléon Bonaparte, infatigable défenseur de la Révolution française. Je ne suis pas le général de Gaulle, grand sauveur de la France libre, indomptable représentant d'une Résistance farouche et d'une République en guerre.
Non, je ne suis rien de tout cela
Je ne suis rien de plus que l'ombre d'un homme d'âge mûr, encore brave mais usé par la vie, la vieille carcasse d'un pré-vieillard un peu fatigué mais encore capable de penser et d'anticiper, un semblant de rêveur qui vit surtout dans son esprit et dans son imagination...
Peu se rappelleront mon nom, sauf peut-être pour mes proches descendants... Je ne serai jamais qu'un rectangle dans un arbre généalogique, avec un drôle de nom au milieu.
Je ne fais pas partie d'un quartier général, ni d'un régiment d'active, ni d'une unité de réserve, ni d'une milice citoyenne, ni de... non, rien de tout cela. Je ne suis guère bon encore qu'à être un genre d'éclaireur, quelqu'un que l'on dispose à l'avant d'une tribu en mouvement, d'un peuple en déplacement. Je ne serais pas une grande perte si je disparaissait subitement. Qui se souviendrait alors de moi, si ce n'est les miens, mes proches, ma famille ou mes quelques amis, au premier plan mes propres enfants?
Peut-être ceux de la ville-sainte de la Haute-Gatineau, la Terre sacrée de la Mère-Vierge, Marie, (Maniwaki), se rappelleront-ils de moi. Peut-être ceux de ma région, celle de la grande rivière descendant du nord, garderont-ils une trace de mon passage sur cette étrange terre. Qui d'autre, à part ceux de mon peuple, se souviendra-t-il de ma personne, des petites joies et des victoires de ma trop longue vie, de mes peines, de mes larmes, de mes défaites, des douleurs de mon corps, des souffrances de mon esprit, des tourments de mon âme?
Je ne suis plus qu'un éclaireur. Je ne sers plus qu'à ça. C'est la seule chose que je suis, désormais. Ma seule fonction est de précéder ma tribu, mon peuple. Ma seule mission est de repérer les gués des rivières, les cols des montagnes, les passes des grandes chaînes montagneuses qui bloquent le passage des miens, de ma tribu, de mon peuple, de repérer aussi les vallées fertiles, les vastes plaines aisées à franchir, les forêts pouvant servir d'abris, les oasis si utiles pour les étapes et l'ensemble des ressources à la disposition des gens qui me suivent et que j'ose appeller les miens : ma tribu, mon peuple.
Je ne suis qu'un éclaireur et je ne sers plus qu'à cela : veiller sur ceux que j'aime. Vibrer pour eux et rêver pour eux. Avancer seul en avant-garde et rester toujours prêt à disparaître d'un jour à l'autre, sans laisser la mpindre trace de mon existence...
Je suis un éclaireur.
Je ne suis pas Moïse guidant le peuple hébreu vers la Terre promise des ancêtres, non, je ne suis pas cet homme-là, ce prophète des temps anciens, non, ce n'est pas moi. En vérité je vous le dis, je ne suis pas cet homme-là, j'en suis un autre, moins bien connu, maistout aussi important, un homme guidant son peuple vers la Terre sacrée de ses ancêtres, la terre du pays des lacs et des collines, le pays situé le long de la vallée d'une rivière venant du nord, une rivière qu'on rejoint, à partir des Deux-Montagnes, en remontant la rivière encore plus large qui mène aux grands lacs dominant tout le centre du continent.
Cet homme-là, c'est moi.
Je suis Luc-Antoine Pakinawatik
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(L-A. Pakinawatik est le chef qui, au début du XIXe siècle, a amené son peuple, une bande algonquine qui vivait dans un établissementt bordant le lac des Deux-Montagnes, près de Montréal, en compagnie d'un groupe d'Iroquois, vers les terres ancestrales qui longeaient les rives de la rivière Gatineau. Les Algonquins de Pakinwatik, hommes, femmes et enfants, emmenant avec eux tous leurs bagages, ont donc remonté la rivière des Outaouais, puis la rivière Gatineau, jusqu'aux abords du site actuel de la ville de Maniwaki, afin de prendre possession de leur territoire, octroyé sous forme de réserve par le gouvernement fédéral, délimité grossièrement par la rivière Gatineau, la rivière du Désert et la rivière de l'Aigle. La bande a d'abotrd pris le nom de River Desert Band, puis a décidé de se dénommer Kitigan-Zibi Anishinabeg (''les gens de la rivière au jardin''. On peut encore voir la tombe de Pakinawatik, dans le vieux cimetière catholique de Maniwaki, à l'extrémité sud de la rue Comeau). La tombe indique qu'au départ, Antoine Pakinawatik n'était que le second chef de la bande algonquine, avant le départ vers la Haute-Gatineau d'aujourd'hui. Lorsque la bande s'est installée dans ses nouveaux quartiers, il en est devenu le premier chef.
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