RÉFORMER LE CANADA ACTUEL (1)

(Que le Québec devienne un jour indépendant ou non, il apparaît de plus en plus inévitable de réformer le Canada, au plan politique, de fond en comble, du quartier ou du village au chef d'État. Tout doit être mis sur la table et rien ne doit pas être ne serait-ce qu'envisagé. Voici une proposition que j'ai écrite sous forme de manifeste le 24 décembre 2019. Elle a été publiée dans LeDroit, version électronique, d'Ottawa, et dans les pages du Bulletin d'Aylmer.)


Le Canada, le Québec et la co-souveraineté

 

SOUVERAINETÉ : pouvoir suprême reconnu à l’État, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe) – Larousse en ligne

 

Souveraineté, souveraineté interne, souveraineté externe, souveraineté-association, double souveraineté, co-souveraineté : autant de concepts importants en science politique, que ce soit au Canada ou dans le monde.

Nul n’ignore ce qu’est la souveraineté, cette composante essentielle des États. Tous reconnaissent l’importance de la souveraineté des nations dans le monde moderne. Près de 200 États parsèment aujourd’hui la carte politique moderne.

Depuis le début de la Révolution tranquille, soit depuis 1960, le projet de la souveraineté du Québec est dans l’air. Pendant près de 60 ans, donc, soit l’espace de trois générations, il a été question de la place du Québec, foyer principal (mais pas unique) de la nation canadienne-française, au sein de la confédération canadienne. Ce dossier a fait couler beaucoup d’encre et suscité bien des débats au fil des années. L’élection du Parti québécois en 1976 a généré de grands espoirs, assombris néanmoins, par la suite, par les résultats du référendum de 1980 et du référendum de 1995. Ce dernier a semblé enfoncer un clou définitif dans le cercueil des aspirations du peuple québécois.

Pourtant, l’espoir a la vie dure et le grand rêve des souverainistes québécois ne s’est pas évaporé comme neige au soleil. Le mouvement n’était pas mort, il brûlait simplement sous la cendre. La preuve, on peut la voir dans la bonne performance du parti indépendantiste Québec solidaire lors des élections provinciales de 2018. On peut la voir aussi dans l’impressionnant résultat obtenu par le Bloc québécois au cours des élections fédérales de 2019. On peut le voir aussi dans les grands efforts mis par le Parti québécois, en perte de vitesse, pour se réinventer et se trouver une nouvelle raison d’être.

Visiblement, l’indépendantisme québécois demeure vivant et est encore plein d’avenir. Malgré les apparences, il est clair que rien n’est joué à cet égard et que tous les espoirs sont permis. Plus encore, l’émergence de plus en plus évidente d’un mouvement sécessionniste dans l’ouest du Canada, le fameux Wexit (sur le modèle de Brexit) montre bien que les tensions internes qui agitent le Canada ne se limitent pas au seul Québec. Ce Wexit, issu essentiellement de revendications de nature économique, concerne l’Alberta et la Saskatchewan, mais aussi le Manitoba (dans sa partie rurale, hors-Winnipeg) et la Colombie-Britannique (dans sa partie orientale, plus conservatrice). Fédération relativement décentralisée, le Canada risque-t-il de se briser sur des lignes de fracture économiques (avec le Wexit, dans l’ouest) et culturelles, plus précisément ethniques (avec le Québec, dans l’est)?

Hypothétiquement, qu’arriverait-il dans un Canada où surviendrait la sécession du Québec? Le Canada se retrouverait coupé en deux, comme le Pakistan d’autrefois, avec une partie à l’ouest (de la Colombie-Britannique à l’Ontario) et une partie à l’est, (sous la forme des quatre provinces de l’Atlantique). Toujours hypothétiquement, qu’arriverait-il dans la partie ouest du Canada, alors composée de trois grands blocs, soit :

a)      la province de la Colombie-Britannique (à la fois cosmopolite et progressive);

b)      les trois provinces des Prairies, soit l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba, (fortement conservatrices et rongées depuis des décennies par un profond sentiment d’aliénation envers les deux grandes provinces du Canada central, l’Ontario et le Québec) et

c)      la province de l’Ontario (véritable cœur politique et économique du Canada d’aujourd’hui)?

Toujours aussi hypothétiquement, qu’arriverait-il à tous ces fragments disparates, face au grand pouvoir attractif de la superpuissance américaine, dix fois plus peuplée que le Canada et cent fois plus puissante culturellement et militairement? Géopolitiquement parlant, que pourrait-il se produire, sinon, à terme, un émiettement et une désintégration, au profit, en toute probabilité, des États-Unis d’Amérique?

Plus encore, dans le monde d’aujourd’hui, ce monde moderne, globalisé, uni par des communications quasi-instantanées et des moyens de transport rapides, un monde devenu un ‘’gros village’’, pour reprendre l’expression bien connue, est-il encore souhaitable d’ajouter d’autres pays? L’indépendance du Québec est-elle réellement à préconiser dans un tel contexte?

Dans les années 60 et 70, la jeunesse québécoise rêvait à l’indépendance. Ce n’est plus le cas de nos jours. Signe des temps, les jeunes du Québec d’aujourd’hui, comme ceux de la plupart des pays, rêvent d’écologie et d’environnement, de lutte aux changements climatiques et de l’avènement d’un monde meilleur, plus vert et plus naturel.

Comment concilier les besoins des uns et les besoins des autres? Comment faire en sorte de préserver les aspirations légitimes d’une grande partie des Québécois francophones à l’égard de la souveraineté et les craintes (compréhensibles et tout aussi légitimes) de la quasi-totalité des Canadiens anglophones envers cette même souveraineté? Comment réaliser la souveraineté du Québec sans détruire la souveraineté du Canada ? D’une façon réaliste, ces deux entités peuvent-elles être souveraines côte à côte, en même temps, de plein droit, dans un genre de double souveraineté non-exclusive? Comment, en d’autres mots, assurer la quadrature du cercle?

‘’Impossible n’est pas français’’, avait coutume de dire Napoléon. Il avait bien raison. L’histoire moderne du Canada, celle d’après la Conquête de 1759, si on l’étudie de près, se révèle comme une longue suite de compromis entre les deux peuples fondateurs, Français et Anglais. Malgré leurs différences, malgré leurs conflits sans fin, malgré tout ce qui opposait les deux solitudes canadiennes, nos ancêtres ont toujours su mettre de l’eau dans leur vin, les uns comme les autres, et ont (presque) toujours préféré le dialogue à l’affrontement armé. En sommes-nous encore capables?

Dans cet esprit, examinons l’option de la co-souveraineté. Qu’est-ce que c’est? Pour utiliser une expression québécoise familière : qu’est-ce que ça mange en hiver? Est-ce viable? La réponse est oui. Pour le dire en peu de mots, la co-souveraineté, c’est une souveraineté partagée. Quelques exemples existent dans l’histoire, ici et là, il suffit de bien regarder.

Il y a d’abord l’exemple des Nouvelles-Hébrides, cet archipel du Pacifique qui faisait l’objet d’un condominium franco-anglais, avant le grand mouvement de décolonisation qui s’est manifesté au milieu du XXe siècle. La République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord se partageaient alors l’administration du territoire. Il y a aussi l’exemple du Soudan anglo-égyptien, partagé entre la Royaume-Uni et l’Égypte. Là aussi, la gestion du territoire se faisait de façon conjointe.

L’expression condominium ne doit pas surprendre. Qu’est-ce qu’une résidence en condominium sinon une propriété partagée? Un condominium, au sens strict du terme, ce n’est pas une maison, ce n’est pas un appartement, c’est un bien collectif possédé en commun par plusieurs propriétaires, un peu comme une coopérative, en quelque sorte.

Le concept de la co-souveraineté est-il transposable au Canada? Quelle forme pourrait-elle prendre? L’implantation d’une telle idée impliquerait une restructuration complète de la confédération canadienne, il va sans dire. Nous sommes ici dans le domaine des hypothèses et des possibilités, dans le royaume de la politique-fiction. Donnons-nous-en donc à cœur joie!

Dans un premier temps, il faudrait modifier la constitution canadienne, un document que le Québec n’a toujours pas signé. Pourquoi ne pas en profiter pour couper les derniers liens avec le Royaume-Uni (il faut souligner que la reine Élisabeth II est encore officiellement le chef d’État du Canada)? Il faudrait aussi tout repenser l’organisation administrative de la confédération. Ce ne serait pas une mince affaire, évidemment. Dans un Canada à deux, et non à dix, pourquoi ne pas créer une confédération renouvelée, une vraie confédération au sens propre du terme, soit une entité réellement décentralisée? Cette confédération pourrait être articulée d’une part sur les neuf provinces du Canada anglais, réorganisées en Fédération autonome du Canada, et d’autre part sur le cœur du Canada français traditionnel, le Québec, transformé en République autonome.

La Fédération autonome du Canada et la République autonome du Québec seraient toutes deux souveraines (peut-être sous la dénomination de Canada-Québec?), sous le grand chapiteau confédéral. Elles auraient une administration séparée et distincte, afin de préserver l’intégrité de leur gestion intérieure. Toutes les responsabilités internes seraient concentrées dans chacune de ces deux entités. Seules seraient conjointes les responsabilités dévolues aux Affaires étrangères et à la Défense nationale (qui constituent les attributs majeurs de la souveraineté classique).

Est-il concevable, dans la même foulée, d’introduire le concept de districts linguistiques autonomes, de façon à mieux protéger les droits des minorités? Pourquoi ne pas créer des districts autonomes anglophones à l’intérieur du Québec, sur l’Île de Montréal, bien sûr, mais aussi en Outaouais, en Estrie et ailleurs? Pour donner un exemple, dans l’Outaouais, de tels districts pourraient très bien être implantés dans les secteurs Aylmer et Buckingham de la Ville de Gatineau, ainsi que dans l’est de la région du Pontiac, autour de Shawville.

En parallèle, pourquoi ne pas créer des districts autonomes francophones hors du territoire québécois, couvrant l’Acadie et desservant les secteurs où vivent d’importantes concentrations de Franco-Ontariens, ainsi qu’ici et là dans les quatre provinces de l’Ouest canadien et dans les trois territoires du Grand nord? Par exemple, les Comtés-Unis de Prescott-Russell, une juridiction ontarienne très majoritairement francophone, pourrait faire l’objet d’un tel district, tout comme l’est de la Ville d’Ottawa et l’ensemble de la Ville de Cornwall, entre autres possibilités.

Pour ce qui est des territoires canadiens du Nord, c’est-à-dire le Yukon, le Nord-Ouest et le Nunavut, pourquoi ne pas en profiter pour en faire des territoires autonomes, avec des pouvoirs élargis? Dans la même foulée, pourquoi ne pas créer, pour la capitale nationale, centrée sur l’agglomération Ottawa-Gatineau, un territoire confédéral bien distinct, à cheval sur l’Ontario (Ottawa) et le Québec (Gatineau)? Ce territoire confédéral serait un peu l’équivalent du District of Columbia (Washington), de nos voisins du sud.

Discutons-en. Les débats sont ouverts

 

M. Charles Millar

Gatineau (Québec)

Cellulaire :        819-208-3238

charles.millar3@gmail.com


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