CHINE, INDE ET AFRIQUE NOIRE: SURPRISES DÉMOGRAPHIQUES
En général, la démographie est une science
ennuyante. Rien ne s'y passe, à vrai dire, à part des naissances, des vies et
des décès. Les individus naissent, vivent et meurent. Les peuples se forment,
évoluent et se transforment.
Depuis l'aube des temps, l'humanité a augmenté en
nombre très, très, très len-te-ment, en une courbe régulière et légèrement
ascendante. Nous sommes passés de peut-être quelques centaines de milliers dans
les savanes d'Afrique orientale à quelques centaines de millions à l'aube de la
Révolution industrielle. Nous avons crû lentement parce que la vie était rude
et que nous étions peu nombreux, mais les inventions humaines (roue, feu,
agriculture -surtout-, etc.) ont permis d'accélérer très graduellement les choses.
La Révolution industrielle a donné lieu à un grand
boum, avec une montée fulgurante, peu représentative de la lente, lente, lente
progression que nous avions connu au cours des millions d'années précédentes.
Tout s'est accéléré et tout s'est déchaîné. L'explosion a été multiple,
entraînant guerres, inventions, voyages de découvertes, colonisations
européennes, révolutions politiques, économiques et sociales, tandis que la
population grimpait en flèche. Toutefois, les ressources de Terra ne sont pas
infinies et sa capacité à abriter une population nombreuse est limitée par la
force des choses. Il faudra, inéluctablement, inévitablement, obligatoirement,
un rééquilibrage à ce niveau, afin d'atteindre à terme un long plateau assez
semblable à celui que nous avons connu tout au long de notre longue histoire.
Si croissance il doit y avoir, au plan démographique, dans un horizon
relativement lointain, elle devra prendre place hors de l'orbite terrestre,
sous la forme d'une colonisation non terrestre, dans l'espace sidéral proche
(la Première frontière). C'est là une toute autre histoire, cependant).
En sociologie, il y a des règles de base, pas aussi
indéniables que des équations mathématiques, mais tout aussi crédibles. Par
exemple, les populations plus pauvres ont tendance à avoir davantage d'enfants
que les populations plus riches. En général, c'est vrai. Un seul exemple: la
ville de Boston a été fondée par des dissidents religieux venus d'Angleterre.
Au XIXe siècle, cette population a été remplacée relativement rapidement par
des vagues successives d'immigrants irlandais, catholiques, pauvres et prolifiques.
Aujourd'hui, Boston est une agglomération multi-ethnique, mais le fond de la
population demeure irlandais, alors que les premiers immigrants anglais
(surnommés les ''Brahmins'') ne sont plus qu'un photo à jamais voilée par le
temps, ceux-ci ayant disparu en ne laissant derrière eux que le souvenir d'une
population de plus en plus clairsemée et de plus en plus riche.
D'autres principes peuvent être établis. En
général, la puissance démographique entraîne la puissance économique, laquelle
entraîne la puissance politique, laquelle entraîne la puissance militaire. Ici
aussi, cependant, il ne s'agit guère que d'une généralité.
Les données fournies par le Forum économique
mondial sonte éloquentes, autant qu'elles sont surprenantes. Elles permettent
des tirer des conclusions sur les quatre prochaines générations, la démographie
étant une tendance lourde et très porteuse, alors que la période temporelle en
question (80 ans) n'est pas si longue, représentant grosso modo l'espace d'une
vie humaine. Mes enfants verront cette période prendre place, ainsi que leurs
enfants et, possiblement, leurs petits-enfants.
Ainsi la toute première place, au chapitre des pays
les plus peuplés est occupée par l'Inde, une contrée qui talonne présentement
la Chine (1,3 milliard d'habitants contre 1,4). En ajoutant le Pakistan et le
Bangladesh, le sous-continent indien (l'ancien Raj britannique) comptera 1,4
milliard de personnes. Rappelons que le sous-continent est un mélange de
musulmans et d'hindous, imbriqués ensemble dans une mosaïque difficile à
séparer. Le Pakistan musulman aura 248 millions d'habitants (un quart de milliard\!),
alors que le Bangladesh musulman n'en aura plus que 81 millions (à peu près la
moitié du total actuel), signe que que ce dernier pays est très pauvre
économiquement et que sa population en pâtira avec une baisse nominale
importante.
Au second rang, une surprise à signaler: la Nigéria
deviendra le pays africain le plus peuplé, avec 791 millions d'habitants. Ce
pays agricole relativement vaste va connaître une expansion fulgurante, à
l'image de tout le continent, particulièrement l'Afrique noire, subsaharienne.
Le troisième pays africain, ce sera l'Éthiopie, un pays d'ancienne
civilisation, mi-chrétien, mi-musulman, avec 223 millions d'habitants (100
millions présentement), en plein essor économique, grâce à l'appui de l'Empire
du milieu, notamment, puis la Tanzanie, en Afrique de l’Est.
Au deuxième rang, on retrouvera la République
démocratique du Congo, un colosse de l'Afrique centrale, avec un territoire
énorme, correspondant à un pays de jungle équatoriale épaisse, la deuxième
forêt pluviale du monde en superficie (après l'Amazonie) et un sous-sol minier
très riche, ancienne colonie belge et futur pays francophone le plus imposant
du monde, avec à lui seul 246 millions de personne (un autre quart de milliard
de population), pays qu'incidemment, je me propose de découvrir en janvier prochain,
en plus du Bénin, dont ce sera mon troisième voyage, si tout se déroule comme
prévu.
En tout, l'Afrique noire sera la grande gagnante de
la course démographique, avec une population passant d'un milliard à trois
milliards, sur une population mondiale totale de 9 à 10 milliards, selon les
estimations. C'est dire que le tiers de l'humanité vivra en Afrique, pays de
nos très lointains ancêtres. Cette population devrait être en situation de
lente émergence économique, ce qui en dit long sur son avenir politique, en
tant que futur centre nerveux de l'humanité terrestre. Le continent d'Adam et
Ève trônera éventuellement au centre de la carte planétaire, au centre du
monde, comme il se doit, avec une demi-couronne de continents l'entourant,
allant de l'Amérique du Sud à l'Australie, mélange de zones renaturalisées, de
points de peuplement dispersés, de régions très riches (États-Unis, Europe,
Inde, Chine) et de pays plutôt moyens.
Plusieurs pays se contracteront, dont le Japon (de
moitié -de 128 millions à 60), le Brésil (de 200 millions à 165), l'Indonésie
(plus populeux pays musulman actuellement (de 258 millions à 229), etc. La
palme, pour l'Islam, passera sans difficulté au Nigéria, la Chine africaine,
dont tout le nord est aussi musulman que le Sahel en général, tout comme le
Bénin (Borgou) et les autres pays d'Afrique de l’Ouest, ceux-ci connaissant une
islamisation lente et progressive, tout comme l'Afrique de l'est, en façade de
l'océan Indien, le long de l'aire linguistique du swahili, notamment la
Tanzanie déjà mentionnée. L'Islam est très présent dans ce secteur, avec des points
d'implantation forts dans des centres arabisés et/ou persianisés, comme la côte
nord de la Somalie, Djibouti, Zanzibar, les Comores, Mayotte, etc. La
progression de l'Islam en terre africaine est aussi notable dans le centre du
continent, notamment au Centrafrique, lieu d'affrontements récents entre
chrétiens et musulmans. L'Islam a, en sa faveur, le prestige des savants
musulmans et des docteurs de la loi, ainsi que l'avantage de ne pas souffrir
d'éléments surnaturels (résurrection, miracles, immaculée conception, propres
au christianisme et dont l'existence l'a presque rayé de la carte en bien des
contrées européennes de tradition chrétienne, du Québec à la Russie
ex-soviétique en passant par l'Europe occidentale.
Les États-Unis, avec 336 millions d’habitants, se
maintiendront difficilement, souffrant d'hispanisation galopante et d'une
contraction importante à venir de la population européenne traditionnelle (les
premiers colons, plus ceux arrivés au XIXe siècle). La puissance économique a
engendré des faiblesses sanitaires et sociales énormes, en termes de problèmes
sociaux, dont tout ce qui découle de la révolution sexuelle des années 60, sans
oublier l'usage effrené des drogues, devenues (au niveau des overdoses) la
cause majeure des décès dans une tranche d'âge donnée, ce qui laisse
pantois quant à la prévalence réelle de ce fléau au sein de la population en
général. Dans le cas de ce pays, un peu comme dans le cas des autres pays de
l'Anglosphère (les quatre royaumes britanniques que sont le Royaume-Uni, le
Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande), la prospérité économique du XXe
siècle a engendré un surpoids majeur au plan des problèmes sociaux et de la
militarisation (le budget militaire américain, systématiquement gonflé par
Donald Trump et laissé apparemment au même point par Joe Biden, est un boulet
majeur, une menace à la paix mondiale et risque de grever gravement l'essor
économique américaine et ses chances compétitives à long terme face au géant
chinois.
Il est à noter que les pays de l'Union européenne
et de l'Europe en général ne sortiront pas gagnants de cette course
démographique, sinon au plan économique, la Russie perdant un tiers de sa
population à elle seule, de 146 millions à 106). Notons que 80 % de la
population russe actuelle vit à l'ouest de l'Oural, sur 20 du territoire de ce
pays immense (malgré la perte de l'Asie centrale, du Caucase et de ses marches
occidentales, suite à l'implosion de l'Union soviétique). Les autres pays
européens stagneront ou diminueront de population, tout en conservant un poids
économique important.
En ce qui a trait à la Chine, première puissance
démographique mondiale actuelle et deuxième puissance économique, politique et
militaire du globe, qu'en sera-t-il? Que lui arrivera-t-il? Bien des
bouleversements sont inévitables. Ce pays qui comptait à peine 500 millions
d'habitants en 1949 et qui en possèdent 1 400 millions présentement, soit un
triplement ou presque, passera à 732 millions d'habitants en 2100, voire 500
millions, selon d'autres estimations, c'est-à-dire une diminution par deux ou
par trois. C'est une variation qui laisse songeur, un 'swing' impressionnant,
avec une montée de missile balistique et une descente météorique, si l'on tient
compte de la lenteur habituelle des changements démographiques. Le XXIe siècle
sera indubitablement chinois, tandis que le XXIIe risquera fort d'être africain
et noir, tout comme le XIXe était britannique et le XXe, américain.
Voici quelques considérations finales: en terme de
densité de population, la Nigéria, futur colosse africain, coincé entre le
minuscule Bénin, le Niger sahélien et un Cameroun dont la population égale
présentement celle du Canada, avec deux langues européennes d'usage lui aussi,
mais de cent à cent vingt tribus différentes, aura une densité de population
2,5 fois supérieure à celle de l'Inde, laquelle est déjà élevée actuellement,
alors que l'Inde compte un territoire 3,5 fois supérieur à celui de la Nigéria,
tout en étant plus petit que le territoire chinois actuel, aussi grand que le
Canada, mais avec une population sans commune mesure avec celle de ce pays
improbable et insatisfaisant qui semble perdu quelque part entre le
navire-amiral de l'Anglosphère et les neiges arctiques.
Sacré Chine, sacré Afrique, sacré Inde: vous
dominerez aisément toute l'actualité du siècle à venir...
RépondreSupprimerBon texte, vocabulaire riche!