COMMENT ASSIMILER LES CANADIENS-FRANÇAIS
L'assimilation culturelle et linguistique n'est pas une mince tâche et requiert beaucoup de patience.
Dès la Conquête de 1759, l'Empire britannique s'est retrouvé avec un problème embêtant sur les bras: que faire des dizaines de milliers d'Acadiens et Canadiens d'obédience catholique et d'expression française dont la responsabilité lui incombait désormais? Les Acadiens, dispersés et déportés, ont été nombreux à se frayer un chemin vers leur ancien foyer, tout autour du golfe du Saint-Laurent, d'autres se dirigeant vers la Louisiane, là où leurs descendants deviendront éventuellement les Cajuns, d'autres encore revenant en France ou disparaissant dans les colonies britanniques où ils s'étaient retrouvés. Les Canadiens pour leur part se sont divisés: ceux qui le pouvaient (40 % des 100 000 Français de la colonie du fleuve Saint-Laurent) sont revenus en France, les autres apprenant à s'accomoder à leurs nouveaux maîtres, des étrangers de confession et de langue différente.
L'Empire britannique et ses représentants ont réagi de plusieurs manières à cette nouvelle situation, rendue plus délicate encore avec le départ des colonies du sud, le long de la façade atlantique, devenus des États américains. En effet, les colonies britanniques du nord, contrôlées politiquement et militairement par l'Empire, étaient encore dominées démographiquement par une population non britannique, majoritaire et peu heureuse de la tournure des événements. La nécessité de minoriser la majorité francophone s'est vite imposée, tout comme le souhait d'assimiler ces réfractaires le plus rapidement possible, la civilisation britannique étant jugée et supposée supérieure à la civilisation française.
Les événements survenus au nord du continent nord-américain, de la Conquête à aujourd'hui, doivent être compris sous l'éclairage du besoin éprouvé par l'Empire britannique, remplacé en 1867 par la création de la confédédation des colonies canadiennes, en réalité la formation du tout nouveau royaume britannique du Canada, de résoudre le problème créé par la présence d'une majorité étrangère, devenue en cours de route une minorité étrangère, indifférente (et, souvent, hostile) à la Couronne britannique. L'écrasement des métis francophones de l'ouest et la pendaison de Louis Riel, l'écrasement de la révolte des Patriotes, la volonté du premier dirigeant du nouveau royaume du Canada, John A. McDonald, d'assurer l'avenir du Canada au sein de l'Empire, malgré ce que pouvaient penser les autres Canadiens, tant Canadiens français qu'autochtones, jugés inférieurs aux Anglo-Canadiens, les efforts innombrables et répétés d'inciter et encourager les nouveaux migrants à s'intégrer à la majorité britannique, les décisions du gouvernement britannique, puis canadien, de favoriser les provinces majoritairement anglophones, particulièrement l'Ontario, autant que possible, etc., ne peuvent s'expliquer et se comprendre que sous cet éclairage.
Le grand historien Arnold Toynbee, dans son monumental et magistral ouvrage intitulé ''A Study of History'', au cours des années 30, a bien analysé ce phénomène. Il a remarqué avec justesse que seuls deux peuples européens ont subi les affres de la colonisation européenne, soit les Irlandais de la verte Érin et les francophones du Canada (Canadiens-français et Acadiens confondus), tous deux incorporés de force au sein de l'Empire britannique. Les Irlandais, au prix d'un long combat étalé sur des décennies, ont réussi à sortir de l'Empire et à se donner une structure politique qui leur était propre, la République irlandaise, n'hésitant pas à faire couler le sang, aussi bien le leur que celui des défenseurs de l'Empire, pour y parvenir. Les Irlandais, par contre, engloutis pas l'Empire pendant des siècles, ont été presque complètement déculturés par les efforts assimilateurs des Britanniques et ont fini par délaisser leur propre langue pour celle de leurs oppresseurs, la langue irlandaise de leurs ancêtres étant reléguée à une mince frange le long de la côte occidentale de l'île.
Le cas des francophones du Canada est différent de celui des Irlandais. Ceux-ci vivaient aux abords immédiats du coeur de l'Empire britannique, l'île voisine de la Grande-Bretagne. Peu nombreux, souvent très pauvres, privés des meilleures terres, considérés inférieurs au plan culturel, traités de haut et méprisés, décimés et dispersés à touts vents par la maladie de la pomme de terre, les Irlandais ne l'ont pas eu facile et ils n'ont pas hésité à utiliser la manière forte pour se libérer et se donner les pouvoirs politiques dont ils étaient privés depuis des siècles. Les francophones canadiens, eux, ont été cantonnés à un recoin tranquille de l'Empire britannique et leur minorisation progressive a permis de diminuer leur capacité de nuire aux intentions de l'Empire britannique, puis du royaume britannique du Canada qui a pris sa succession. Aujourd'hui, en cette deuxième décennie du troisième millénaire, les francophones canadiens ne constituent plus, aux yeux des Anglo-Canadiens, surtout depuis l'échec des deux premiers référendums, qu'une minorité ethnique comme une autre, quoique la plus importante en nombre, avec un peu plus de 20 % de la population totale.
Il serait erroné de croire que la population anglo-canadienne, aujourd'hui, ne se réjouirait pas de voir les francophones canadiens renoncer éventuellement à leur propre langue pour adopter la leur. Il serait tout aussi erroné de penser que toute possibilité d'assimilation culturelle et linguistique est disparue, avec l'adoption de la Loi sur le bilinguisme. Il faut souligner que la situation linguistique actuelle est propice à l'assimilation volontaire des minorités canadiennes, au bénéfice de la langue anglaise. Le phénomène est presque complété au niveau de la plupart des peuples autochtones. Même ceux dont la culture et la langue sont les mieux préservés n'en sont pas exempts. Au Nunavut, par exemple, les études du gouvernement fédéral montrent qu'un début d'assimilation volontaire des Inuits est observable dans la partie ouest de ce territoire arctique.
Cette situation déplorable découle simplement de la présence d'une langue forte et dominante, prestigieuse aux yeux des non-anglophones, surtout les plus jeunes (et, donc, les plus influençables) d'entre eux, considérée souvent comme supérieure aux autres sur les plans de la science, de la culture, du commerce, de l'économie, de la politique, de l'exploration spatiale, de la technologie, de la diplomatie, etc. Le problème, avec la langue anglaise, n'est pas qu'on tente de l'imposer de force, mais plutôt que plusieurs non-anglophones en arrivent à devenir eux-mêmes anglophiles au point de se comporter comme si la langue anglaise détenait à elle seule les clés de la modernité et de la prospérité, comme le font trop souvent les Français d'Europe, apparemment incapables d'être fiers de leur langue et d'être conscients des forces de cet idiome plus complexe et plus précis que l'anglais.
La population franco-ontarienne est assimilée à moitié à la langue et la culture anglaise, pas par la force, comme à l'époque du fameux Règlement 17 d'un autre siècle, mais volontairement, par le fruit des mariages mixtes et de l'attractivité économique de l'anglais par rapport au français. La jeunesse québécoise, pour sa part, commence à montrer des signes d'une évolution semblable, elle qui, trop souvent, considère que le monde moderne doit nécessairement être un monde anglophone, qui se veut neutre au plan linguistique et qui préfère se se considérer citoyenne du monde, plutôt que citoyenne d'un pays québécois qui n'a pas su, ou pu, se concrétiser. Les décisions du gouvernement québécois de favoriser l'éducation supérieure en langue anglaise à Montréal, avec les projets d'agrandissement de l'Université McGill et du collège Dawson, n'est pas étrangère au phénomène d'anglicisation qui se remarque dans l'agglomération montréalaise, poumon économique du Québec, depuis l'échec du référendum de 1995.
L'histoire est l'actualité qui s'écrit et se vit à tous les jours. C'est un livre qui s'écrit une page à la fois, une à chaque jour qui passe. L'histoire de l'assimilation des francophones canadiens au monde anglophone n'est pas encore terminée, contrairement à ce que certains pourraient croire ou pourraient vouloir faire croire. Il reste des pages, possiblement des chapitres, à écrire avant que la lecture de ce livre ne soit enfin achevée, dans un sens ou dans un autre.
Comme disent les anglophones: ''Stay tuned''.
RépondreSupprimerExcellent texte, un peu long cependant!