TAIWAN ET UKRAINE: PARALLÈLES ET TANGENTES

 


Vous savez ce que je ferais si j'étais un général chinois? Je demanderais l'avis d'autres généraux chinois, en vue de faire une proposition toute théorique au pouvoir civil de l'Empire du milieu. Je lancerais les idées suivantes.

Un - Taiwan, cette province chinoise rebelle et distante, installée sur une île qui est séparée du continent par un bras de mer assez considérable, le détroit de Taiwan, entre cette île autrefois appelée Formose par les Européens, partiellement occupée par les Espagnols au nord, les Hollandais au sud, il y a des siècles, puis par les Japonais à compter de la fin du XIXe siècle, puis encore par le Kuomintang à compter de 1949, suite à la conclusion de la guerre civile chinoise, doit absolument rejoindre le giron de la grande Chine, dont elle fait démographiquement partie. La population, d'abord composée de minuscules nations formosanes de type malais, puis de groupes chinois variés d'origine continentale (de langues hakka et hokien), a été augmentée par l'arrivée de centaines de milliers de nationalistes chinois, dans la mouvance du KMT, dont plusieurs (notamment ceux dont l'idiome est le mandarin) dans les centres urbains et dans le centre et l'est de l'île, des secteurs plus montagneux et moins .utiles économiquement. L'est de l'île, notamment, correspond à l'aire linguistique résiduelle proto-malaise (ou austronésienne, au sens plus large, relatif à la famille linguistique comme telle).

Deux - Une attaque directe de Taiwan, dans l'état actuel des choses, surtout si l'on tient compte de la surexcitation du monde culturel anglo-saxon, est impensable, trop dangereuse et très certainement trop coûteuse en pertes de vie et en dommages physiques de toutes sortes. Mieux vaut, dans ce contexte, une approche plus subtile et graduelle, en au moins deux temps.

Trois - La toute première chose à faire est de continuer à attendre, au moins quelques années, le temps que les puissances anglo-saxonnes se fatiguent de s'époumoner sans cesse et de se monter la tête mutuellement. Laissons le temps 1) au commerce chinois de faire son oeuvre en tant que facteur d'influence politique, 2) à l'économie chinoise de continuer de se développer, 3) au monde financier chinois de continuer de prendre de la prééminence, 4) au Japon la possibilité de bien repenser ses positions à long terme, ce pays et ce peuple s'étant longtemps abreuvés de culture chinoise et inspiré de la civilisation chinoise, 5) à l'Amérique de poursuivre ses dépenses militaires pharaoniques et de prendre conscience des difficultés inhérentes à l'idée de tenter de surcompétionner les Chinois au plan économique, 6) aux gens de Taiwan de s'imprégner du désir inamovible de Beijing de reprendre pied dans ce qui demeure l'une des provinces de peuplement chinois de l'Empire du milieu.

Quatre - Ensuite, il faut comprendre l'importance de poser un geste fort et concret, rapprochant la Chine de son objectif final, soit de faire un coup de main, ultra-rapide et bien calculée, analogue aux opérations fantômes russes ayant permis à ce pays de s'emparer de la péninsule criméenne, sottement abandonnée aux Ukrainiens durant l'ère soviétique.

Cinq - L'action de la Russie dans le dossier ukrainien doit être étudiée dans son entièreté. La Russie dispose de nombreux avantages par rapport à ce qui était la deuxième plus importante république socialiste soviétique. Elle contrôle ainsi la Byélorussie, au nord, bien que contre le gré d'une bonne partie de la population locale. Elle contrôle aussi la Transnistrie, curiosité politique polyglotte, située à l'est de la Moldavie, un pays de langue roumaine, et, donc, à l'ouest de l'Ukraine. Elle contrôle aussi deux petits territoires pro-russes dans l'extrême est de l'Ukraine, sans parler de la Crimée, au sud, reprise militairement et presque sans coup férir. Elle dispose de la présence de plusieurs millions de russophones dans l'est et le sud de l'Ukraine, deuxième puissance slave de l'Europe de l'est. La Russie a fait à l'Ukraine ce que la Chine a fait à l'Inde, soit construire une belle cage bien solide. Est-il utile de préciser que les Chinois, contrairement aux Russes (qui sont surtout des joueurs d'échecs), sont réputés pour être de grands joueurs de go, ce jeu qui consiste non pas à tuer l'adversaire mais à gagner en s'emparant du plus vaste territoire possible, c'est-à-dire du maximum de ressources disponibles et imaginables, que ce soit sous forme de contribuables, de terres agricoles, de mines, de sources d'éléments précieux, de sources d'énergie, de ports, de goulots d'étranglement, de verrous géographiques, d'avant-postes ou de forteresses?

Cinq - Ce coup de main doit consister à s'emparer en quelques jours ou quelques semaines des îles et archipels entourant la grande île de Taiwan. Ces bouts de terre parfois minuscules se trouvent sur trois fronts: A) les deux petis groupes d'îlots qui avoisinent de très près le rivage du continent (les îles Kinmen et Matsu) et qui font administrativement partie de provinces continentales, B) l'archipel important des Penghu (plus connus hors de Chine sous le nom portuguais de Pescadores), au beau milieu du détroit, et C) l'île Pratas, en mer de Chine méridionale, faisant le lien entre la province de Taiwan et les îles contestées des Spratlys et des Paracels et fortifiant ainsi le dispositif militaire et civil qui y a été implanté au fil des années.

Six - Une telle opération ne peut réussir que s'il est clairement établi, publiquement et privément, que la Chine n'a absolument aucune intention de mettre le pied sur l'île de Taiwan (du moins par la force militaire, pour l'instant),et n'agit que de façon préventive, afin de se prémunir contre les initiatives guerrières potentielles des puissances anglo-saxonnes.

Sept - La possibilité d'en profiter pour mettre la main en même temps sur les petites îles contestées qui se trouve à la jonction de l'île de Taiwan et de l'archipel des Ryukyu, au nord-est de la province rebelle, doit être au moins envisagée par le pouvoir civil chinois. Rappelons que cet archipel, peuplé de groupes parlant des langues apparentées au japonais et très probablement génitrices de ce language, appartenant administrativement au Japon depuis quelques siècles mais faisant partie de territoires historiquement tributaires des empires chinois du passé, appartient aux yeux des Chinois à des régions autrefois dominés par des structures politiques chinoises. D'ailleurs, l'hostilité du Vietnam envers la Chine peut aisément s'expliquer par le fait que ce pays a annexé la partie nord des terres actuellement vietnamiennes et l'a occupé pendant des siècles. Ce souvenir peut faire oublier celui, bien moins lointain de la deuxième guerre d'Indochine, celle qui a tant humilié les Américains.

Huit - Le pouvoir civil chinois doit comprendre l'intérêt à long terme de cultiver les liens avec les peuples indigènes de Taiwan, vivant dans l'est de l'île, ainsi qu'avec les descendants des immigrés arrivés du continent dans la foulée de la défaite du Kuomintang. Ceux-ci, tel que mentionné précédemment, vivent surtout dans les centres urbains de l'ouest et dans les parties centrale et orientale de l'île. À plus long terme, de tels emplacements pourraient constituer un terrain idéal pour des opérations de guérilla et de terrorisme. Qui peut prévoir ce dont pourrait avoir besoin la Chine à long terme?

Neuf- La reprise en main de Taiwan, pacifiquement ou autrement, doit être la première priorité de la Chine, afin de pouvoir redevenir complète un jour, peut-être pas si lointain. La Chine doit faire ce que la France a fait au cours des décennies précédant la Première guerre mondiale, soit garder toujours les yeux fermement fixés sur la ligne bleue des Vosges.




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