LES SOUS-MARINS DE LA COLÈRE...
La nouvelle a surpris tout le monde: le Royaume-Uni et les États-Unis offriront leur aide technologique pour un projet de construction, à Adelaïde (Australie du Sud), au cours des prochaines années, d'une flotte de huit sous-marins à propulsion nucléaire, destinés à la marine royale australienne, afin de contrer la ''menace'' chinoise.
Ce projet est dû à une toute nouvelle coalition, celle liant les USA, le Royaume-Uni et l'Australie, sous la dénomination AUKUS. Celle vient compléter et renforcer le bloc formé relativement récemment entre les USA, l'Australie, l'Inde et le Japon, un genre de nouvelle OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord), sous le nom de Quad. Dans les deux cas, l'objectif premier est de contenir la Chine, perçue comme dangereuse, parce qu'en pleine ascension économique. La République populaire de Chine, d'ici quelques années, aura rattrapé les États-Unis et leur aura arraché le titre de première puissance économique mondiale.
L'apparition d'AUKUS à ce moment-ci n'est probablement pas le fruit du hasard. Cette coalition a été formé un peu à la hâte, dès que les USA ont commencé à prendre pleinement conscience que la montée économique de la Chine ne pouvait pas être contrecarrée par des guerres commerciales à la Trump. Le point faible du Quad, cependant, c'est sa moitié asiatique. L'Inde et le Japon sont liés à l'univers culturel anglophone, mais demeurent peu chauds face à ce que l'Australie et les États-Unis voient, eux, comme une menace presqu'existentielle.
L'Inde, pour sa part, un pays ayant longtemps été dominé par l'Empire britannique, a été très habilement mise hors jeu par la Chine dès le mois de février dernier, alors qu'un coup d'État militaire au Myanmar (Birmanie) installait au pouvoir une junte alliée à Beijing. Une cage d'acier était alors complétée tout autour de l'Inde, avec le Pakistan, le Népal, le Sri Lanka et le Myanmar, sans parler de la chaîne montagneuse de l'Himalaya. Il s'agissait d'un magnifique coup pour les joueurs de Go que sont les Chinois. Ce jeu, rappelons-le, consiste essentiellement à capturer des territoires aussi grands que possible en disposant des pierres, une par une, sur une grille, chacun son tour.
Pour ce qui est du Japon, un pays conquis par les USA à la fin de la Deuxième guerre mondiale, c'est habituellement un allié fiable pour le monde anglo-saxon. Les élites japonaises commencent néanmoins à branler dans le manche, surtout après que Tokyo ait été déclassée par Shanghai de la triade des grandes places financières mondiales, avec Londres et New York. Il faut souligner que la civilisation japonaise doit beaucoup à la civilisation chinoise et que la distance, l'intensité des relations commmerciales, l'avenir économique du Japon et la simple prudence militent en faveur d'une attitude circonspecte à l'égard de l'Empire du milieu.
L'Australie et les États-Unis, augmentés du Royaume-Uni, représentent pour leur part les trois pays les plus belliqueux des contrées anglo-saxonnes de ce monde. La Nouvelle-Zélande, pourtant créée à la suite d'une longue série de guerres entre la marine et l'armée britannique, d'une part, et les différentes nations maories vivant sur cet archipel, d'autre part, est plutôt pacifique de nos jours. Le Canada, de son côté, malgré les débuts tumultueux de ce royaume britannique (conquête de la Nouvelle-France, subjugation des nations autochtones), est plutôt tranquille, malgré des soubresaults liés au contrôle des populations internes (écrasement sanglant de la rébellion des Patriotes, prise de l'Ouest et défaite des populations autochtones et métisses, avec la pendaison très symbolique de Louis Riel, manifestations syndicales, répression des manifestations parfois violentes du nationalisme québécois - pensons au Front de libération du Québec-, etc.).
Actuellement, l'Empire du milieu est en train de tisser un réseau économique serré, sous le nom des Nouvelles routes de la soie, entre la Chine, pôle de production, et deux pôles de consommation, soit l'Union européenne et l'Union africaine, un réseau destiné à soutenir l'influence chinoise sur l'ensemble du super-continent formé de l'Europe, l'Afrique et l'Asie. Entre le premier pôle et les deux autres, se trouve le mur protecteur formé par les principaux alliés de la Chine (la Russie et l'Iran), formant une barrière entre l'ouest et l'est du super-continent. Présentement, les nouvelles routes de la soie ne forment pas encore un pont terrestre entre la Chine et l'Europe, ni entre la Chine et l'Afrique, le couloir nord étant interrompu par les pays pro-américains de l'Europe de l'Est, celui du sud étant interrompu par les pays arabes et l'Israël. Les marchandises empruntent présentement les voies maritimes entre les ports chinois et ceux de l'Europe et de l'Afrique, sans parler de tous les autres pays faisant commerce avec l'Empire du milieu.
La nouvelle concernant les nouveaux sous-marins est importante, mais les répercussions sur la France (et, par ricochet, sur l'ensemble de l'Union européenne) le sont peut-être encore davantage. L'entente entre les pays anglo-saxons a en effet pour conséquence de rendre caduc un gigantesque contrat entre l'Australie et la France, concernant la fourniture de douze sous-marins conventionnels (non nucléaires), pour une valeur de 66 milliards de dollars américains.
Le gouvernenment français est en furie de se retrouver devant un fait accompli. Il pourrait en résulter une accélération du découplage attendu entre l'Europe continentale et les pays anglo-saxons, notamment l'Amérique du Nord (Canada et États-Unis) et le Royaume-Uni. Le départ récent de celui-ci (Brexit) de l'Union européenne a affaibli les liens entre le monde anglo-saxon et l'Europe continentale. De même, les orientations prises lors du mandat de l'ex-président US Donald Trump ont eu comme conséquence de faiire naître un doute dans l'esprit des Européens quant à la pérennité de l'alliance USA-Europe de l'Ouest.
L'Union européenne repose essentiellement sur le tandem formé par l'Allemagne et la France, le premier pour son poids économique et social, le second pour sa puissance économique et militaire. Ce tandom forme le coeur battant de la nouvelle Europe, sans lequel elle ne pourrait survivre. Le tandem relie en effet les autres pays du bloc européen, disposés en étoile tout autour de ce moyeu, que ce soit au sud-ouest (péninsule ibérique), au sud (Autriche, Italie), au sud-est (Balkans, Grèce et Chypre), à l'est (Pologne, Hongrie), au nord-est (pays baltes, Finlande), au nord (pays scandinaves) ou au nord-ouest (pays du Bénélux et Irlande). Que la France ou l'Allemagne quitte l'Union européenne et celle-ci ne pourra que s'effondrer.
Le bloc européen éprouve déjà des doutes quant à la pertinence du maintien de ses allégeances traditionnelles. C'est ainsi qu'il faut interpréter, entre autres, l'aboutissement du projet Nord Stream 2, concernant la livraison du gaz naturel russe vers l'Allemagne, via la mer baltique. La gifle que représente la perte du contrat des sous-marins conventionnels pour la France pourrait amener le coq gaulois à commencer à reconsidérer l'orientation de ses alliances. Il n'est donc pas impossible que cela accélère la désagrégation de l'OTAN et mène à une réorientation des liens de l'Europe continentale vers l'Empire du milieu, de façion progressive et graduelle, succombant ainsi aux chants de sirène de la Chine.
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