BASKATONG: VILLAGE MÉTIS ENGLOUTI...

 

Carte générale du réservoir Baskatong actuel, avec les principales voies d'accès et les emplacements des nombreuses pourvoiries qui ceinturent le plan d'eau. La grand-route qui relie Montréal à l'Abitibi (route 117) passe du sud-est vers le nord-ouest, alors que la grand route nord-sud provenant de Gatineau-Ottawa (route 105) l'intersecte au village de Grand-Remous. Autrefois, un tronçon de l'ancienne route 11 débouchait un peu plus à l'est, entre Grand-Remous et le gros bourg de Mont-Laurier (pouqu'il re plus précis, ce tronçon de la '11'i, entre Maniwaki et la route 117, se nomme maintenant route 107, tandis que le tronçon de la 11 quio allait de Maniwaki à Gatineau porte maintenant le nom de route 105, -c'est un peu compliqué, mais c'est comme ça...-). L'ex-lac du Baskatong, l'ex-rivière du Baskatong et l'ex-village du Baskatong se trouvaient tous dans le secteur délimité par la grande baie arrondie qui forme l'est du réservoir.

''Baskatong est un mot algonquin et provient probablement de obiskitawang, obaskitaong, signifiant, selon le père Georges Lemoine, endroit où l’eau est resserrée par le sable. Le père Lemoine décrit sans doute les nombreux rentrants du lac antérieur au réservoir. L’étymologie avancée par le père Joseph-Étienne Guinard donne la signification de « lac plié » provenant de « baskaton » pour « piskita ». Il ajoute qu’en hiver les eaux de cette entité lacustre – et ce pour diverses raisons – travaillaient la glace, la bombaient et la faisaient plier, d’où l’origine de ce nom. (...) le réservoir engloba le lac Baskatong originel, long de 8 kilomètres, la rivière Baskatong et une dizaine d’autres lacs) (...).'' (Source: GrandQuébec.com)


En 1927, la construction du barrage Mercier a effacé complètement un village val-gatinois, Baskatong, de la carte du Canada, ainsi que le lac et la rivière d'où provenait sa dénomination, afin de créer un large réservoir du même nom, paradis des touristes et de la pêche au doré.

C'est au milieu du XIXe siècle que la courte histoire du village du Baskatong a commencé, plus précisément autour de 1865. La vallée de la Gatineau faisait alors l'objet d'un grand mouvement de colonisation agricole originant du sud (Ottawa et Hull, devenu depuis lors Gatineau), tandis que la région des Laurentides était colonisée, elle, depuis Montréal, dans un axe sud-est / nord-ouest, allant de Saint-Jérôme à Mont-Laurier. Ces deux axes colonisateurs s'entrecroisent au village actuel de Grand-Remous, également le lieu où se situe l'intersection entre l'actuelle route 117 (de Montréal à l'Abitibi) et l'actuelle route 105 (de Gatineau à Grand-Remous). Le petit village de Grand-Remous constitue donc une sorte de carrefour pour tout l'ouest du Québec, occupant ainsi un point stratégique méconnu et mal exploité au plan économique.

Au XIXe siècle, les habitants de l'Outaouais inférieur, une région étalée le long de la rivière des Outaouais, se sont enfoncés vers le nord, suivant la vallée de la Gatineau et défrichant des terres agricoles de qualité variable, allant de marginale à acceptable. Hameaux, villages et villes ont ainsi vu le jour tout au long de cete vallée. Aujourd'hui, on parle souvent d'une série de villages situés à 20 ou 30 kilomètres les uns des autres qui servaient à l'époque d'étapes et de relais pour ceux et celles qui remontaient lentement la vallée vers le nord, que ce soit en charettes (voyages en familles) ou à cheval  (voyages individuels). On explique habituellement que cette série de localités s'égrène et s'énonce de la sorte: Hull / Wakefield / Low / Kazabazua / Gracefield / Bouchette / Maniwaki / Bois-Franc / Grand-Remous. Les auberges et les hôtels de ces localités servaient donc à accueillir, désaltérer, nourrir et loger les voyageurs dans leur pérégrinations qui pouvaient prendre plus d'une semaine et demi, seulement pour le voyagement.

Ce n'est pas tout à fait exact, cependant. Cette configuration est erronée, parce qu'elle reflète l'état actuel des routes. Le réseau routier d'origine était différent de celui d'aujourd'hui et il faut en tenir compte pour reconceptualiser cette progression, de village en village vers le nord de l'Outaouais, vers l'Outaouais supérieur. Le vieux chemin originel qui servait d'axe de base à l'effort de colonisation agricole vers le nord demeurait en fait à l'ouest de la rivière des Gatineau jusqu'à l'ancien hameau de Maniwaki, puis traversait de l'autre côté, via un bateau-passeur, pour continuer sur l'est de la rivière Gatineau, toujours vers le nord, jusqu'au village disparu à jamais du Baskatong. La bonne séquence des villages-étapes était donc la suivante: Hull / Wakefield / Low / Kazabazua / Gracefield / Bouchette / Maniwaki / Aumond / Grand-Remous / Baskatong. Pour passer du point d'origine (Hull) au point ultime (Baskatong) de ce parcours, les membres d'une petite famille se déplaçant en charettes pouvait prendre une bonne dizaine de journées, avançant au rythme des cheveux le long de chemins de terre, parsemés de sable et de roches, au milieu d'un paysage semi-naturel et semi-humanisé, composé de forêts, de collines, de lacs, de champs (ici et là), de maisons dispersées et de petits hameaux minuscules, avant de parvenir au village suivant, fatigués, assoiffés et affamés, comme on peut aisément le deviner.

Baskatong était donc la pointe ultime d'un territoire agricole en formation le long de la vallée de la Gatineau, à l'époque où n'existait aucune route terrestre directe entre Montréal et l'Abitibi et où les Laurentides et Mont-Laurier étaient aussi éloignés et difficiles d'accès pour les colons de la Gatineau que Tombouctou ou Macao peuvent l'être aujourd'hui pour le commun des mortels. Sur cette pointe extrême (l'Ultima Thulé du monde ancien de l'Outaouais), se sont rassemblées des familles diverses, provenant des trois grands peuples présents sur cette contrée outaouaise de l'époque, soit (par ordre d'arrivée) les Algonquins, les Français et les Irlandais. Un village métis a ainsi vu le jour, interface entre le monde agricole du sud et le monde forestier du nord, dernier village que devaient traverser les milliers de bûcherons de l'époque qui, tous les hivers, partaient travailler dans les chantiers du nord, remontant la Gatineau sur tout son long, d'où évidemment le grand nombre d'hôtels et de débits de boisson que l'on retrouvait en abondance dans ce village perdu dans les bois, minuscule et immensément pauvre, comme l'était d'ailleurs l'ensemble de la vallée de la Gatineau de cette époque bien oublié...

À l'origine de toute cette histoire, était le lac du Baskatong, lequel se vidait dans la rivière du Baskatong, laquelle allait se jeter dans la rivière Gatineau. Le village, créé juste au nord de la rivière, côté est de la Gatineau, a donc naturellement pris le nom de village du Baskatong. Selon les informations colligées sur le site ''Il éttait une fois une vallée du... Nord'', ce village a été créé autour d'une ferme forestière (c'est-à-dire une ferme servant à générer la nourriture utilisée par la main-d'oeuvre des chantiers de bûcherons du nord), celle des Gilmour & Hughson, une compagnie de marchands de bois qui possèdait aussi, dans le même village, un dépôt de planches et autres matériaux semblables. Une autre compagnie, W.C. Edwards, s'est installée elle aussi à cet endroit, un peu plus tard, vers 1888, assurant ainsi la viabilité économique (mais pas la pérennité, comme on le verra) du village.

À partir des années 1870, les pères Oblats de Marie-Immaculée (eux qui laissèrent une marque très profonde sur tout le nord de l'Outaouais, en passant) commencèrent à proriguer des services religieux à la population locale, dans le cadre d'un office nommé officiellement  'Mission Saint-François-Zavier-du-lac-Baskatong', mais surnommé familièrement 'Mission des sauvages et des chantiers forestiers', selon le vocabulaire en usage à l'époque... Une chapelle sera d'ailleurs construite en 1906, pour faciliter les choses. Il y avait aussi, au Baskatong, une petite école et quelques commerces. Le tout premier magasin, d'ailleurs, a vu le jour en 1879, propriété de Dave David. Dès la naissance du village, en 1865, des hôtels virent le jour, surtout sur des terres défrichées relevant de la ferme de Joseph David, au nombre d'une demi-douzaine, sinon plus. Plus personne, bien sûr, ne se souvient aujourd'hui des beuveries et bagarres qui se déroulèrent certainement, en ces durs temps d'autrefois, dans les hôtels animés de ce minuscule village, n'ayant guère plus que quelques centaines d'habitants et dont il ne reste absolument rien de nos jours, sauf quelques fondations encore visibles, parfois, lorsque le réservoir est particulièrement bas.

Durant les années 20, le gouvernement provincial a autorisé la construction du barrage Mercier, créant le réservoir du Baskatong, afin de régulariser les flots de la rivière Gatineau, un cours d'eau insoumis, agité et très dangereux, capable de grandes inondations, et dont le mauvais caractère ne s'est pas nécessairement assagi sous l'effet de ce barrage, comme le savent très bien les résidents de Maniwaki qui étaient présents lors de la grande inondation de 1975. Toujours est-il que, durant la construction de l'ouvrage, les éléments de l'église ont été déplacés vers le sud, en 1927, vers l'avant-dernier village-étape de la grande route de colonisation agricole de la Gatineau, le village de Grand-Remous, sur des ''cages'' de bois, c'est-à-dire sur des radeaux rudimentaires descendant la Gatineau. La population, elle, quittant fermes, hôtels, auberges, maisons et souvenirs d'enfance, s'est dispersée à tous vents, les Algonquins se dirigeant vers la bande de Lac-Rapide (réserve faunique de La Vérendrye) ou celle de Kitigan-Zibi (au sud de Maniwaki), voire parfois vers Grand-Remous, là où, grâce à eux, existe encore aujourd'hui une communauté métisse très vivante et active. La majorité des blancs, pour leur part, se sont eux aussi dispersés, atterrissant nombreux à Grand-Remous ou rejoignant leur parenté ailleurs dans les bourgs et bourgades du pays de la Gatineau, ce pays merveilleux d'où vient la légende de la Chasse-Galerie, dans laquelle les bûcherons se promènent souvent en canots dans les airs pour aller rejoindre leurs familles gràce à la fausse amabilité (en réalité très intéressée) du Grand-Diable-Rouge en personne..

Après la disparition du village du Baskatong, le tronçon de la route 11 qui reliait Maniwaki et Mont-Laurier est devenu une route secondaire. La route principale de la vallée de la Gatineau s'est réenligné au nord de Maniwaki pour piquer directement sur Grand-Remous via Bois-Franc. Cet axe est éventuellement devenu l'actuelle route 105. Dans le même temps, dans les années 30, une route nationale reliant Mont-Laurier à l'Abitibi, jusque-là rejoignable uniquement par l'Ontario ou via une ligne de chemin de fer, a été construite à travers ce qui est aujourd'hui la réserve faunique de La Vérendrye. Le nouveau tronçon ainsi aménagé a été joint au tronçon Mont-Laurier / Montréal et l'ensemble a été rebaptisé route nationale 117, une artère importante, maintes fois remaniée et redressée. La route 105, en passant, a elle aussi été remaniée et redressée, encore tout récemment d'ailleurs, au sud de Gracefield. Un des plus grands changements a été effectué il y a très longtemps, au nord de Low. L'ancien chemin de colonisation agricole, devenu ensuite la route 11, traversait tout le village de Low, continuait par les hameaux de North Low et Martindale, se terminait sur un chemin est-ouest, dont une voie (vers l'est) conduisait au village de Lac-Ste-Marie et l'autre (vers l'ouest) menait éventuellement à l'entrée sud de Kazabazua.

Lorsque le village du Baskatong était existant et florissant, il semble qu'il y ait eu deux possibilités d'itinéraires pour le chemin de colonisation agricole de la rivière Gatineau, dans son tronçon entre Maniwaki et la pointe ultime de l'effort colonisateur, soit le village autrefois installé au confluent des rivières Gatineau et Baskatong. Un de ces itinéraires, le plus probable, il me semble, partait du bateau-passeur entre Maniwaki et Déléage et piquait plein nord, rejoignant le village d'Aumond, le traversant, puis, juste avant le Moulin des Pères (i.e. des pères Oblats), descendant la rivière Joseph et reprenant la direction du nord, par l'actuelle traverse de Grand-Remous, jusqu'à la route 117, débouchant dans la partie du village de Grand-Remous qui se trouve à l'est de la Gatineau, juste en face du début du chemin menant à la Pointe à David, une péninsule s'avançant dans le réservoir, laquelle pointe était autrefois une crête surplombant l'ancien village avant l'avènement du réservoir. L'ensemble de cet itinéraire emprunte des chemins encore existants et encore utilisés.

Selon le site ''Il était une fois une vallée venue du...Nord'', un autre tracé est cependant présenté. Ce tracé proposé partait lui aussi du bateau-passeur, mais se rendait au lieu-dit des Quatre-Fourches, virait à gauche et montait vers le nord jusqu'à Aumond, puis continuait, toujours le long de l'ancienne route 11 (aujourd'hui la route 107) jusqu'à la route 117, en passant par les hameaux presque disparus de Val-Émard et de Saint-Cajetan. À partir du débouché de la route 107 sur la route 117, le chemin rejoignait le village du Baskatong, mais sans que l'on ne précise trop de quelle façon (en suivant l'actuelle 117 jusqu'au début de l'actuel chemin de la Pointe-à-David?)

Honnêtement, je doute un peu de la réalité de ce deuxième itinéraire. Il est n'est pas très direct et implique de grands détours inutiles. J'ai davantage l'impression que nos ancêtres coupaient au plus court lorsque c'était possible et qu'ils n'auraient pas choisi un tel chemin pour se rendre à Baskatong. J'ai en fait l'impression que ce deuxième itinéraire est surtout le fruit d'une confusion compréhensible, se contentant de suivre simplement et mécaniquement l'axe de l'ancienne route 11, celle qui reliait autrefois Hull à Mont-Laurier, en suivant plus ou moins l'actuelle route 105 jusqu'à Maniwaki, puis l'actuelle route 107 jusqu'à l'actuelle route 117 menant vers l'est à Mont-Laurier.

Il s'ensuit qu'il y a deux axes majeurs dans le nord-est de la vallée de la Gatineau: A) l'axe historique suivant l'itinéraire que j'ai décrit précédemment jusqu'à la Pointe-à-David et qui correspond à l'antique route de colonisation agricole de la vallée de la Gatineau, en charettes et à cheval, et B) l'axe moderne qui permet un déplacement rapide entre la Haute-Gatineau et les Hautes-Laurentides, par la route 107, en automobile à essence (et un jour à l'électricité et sans même conduire-vive le progrès!-)...

Prenez le temps, jeunes gens d'aujourd'hui, de vous replonger dans le monde d'autrefois, ce monde dont les fantômes existent encore, sous la forme des petits vieux comme moi, ces petits croulants qui n'ont pas encore tout oublié, qui n'ont pas encore sombré dans la démence ou l'Alzheimer, qui aiment vous rappeler que le monde des hommes et des femmes (l'Archipel humain) existait avant votre naissance et avant la création du Nintendo, de l'Internet et de QAnon, et aussi sous la forme des objets matériels qui étaient là, avant, autrefois, à une autre époque, il y a cent ans, cent cinquante ans, deux cent ans, dans le vieux temps de nos ancêtres qui, un jour, vinrent vivre en terre outaouaise...


Croix visibles dans un cimetière situé près de la Pointe-à-David, là où ont été relocalisés les corps enterrés dans le cimetière du village du Baskatong. Paix sur leur âme. (Photo: Michel Gauthier.)

La photo est visiblement ancienne, mais sa nature exacte n'est pas claire. Il semble que ce soit celle d'un Algonquin en canot sur la rivière du Baskatong, à moins que ce ne soit sur la rivière Gatineau ou le lac du Baskatong.

Carte générale du réservoir. On voit la route 117, allant de Montréal à Mont-Laurier, puis vers l'Abitibi, croisant la route 105 à Grand-Remous. La carte n'est pas très fiable, en ce sens que la route 105 n'est pas directement alignée sur le chemin menant à la Pointe-à-David. Ce dernier chemin passe à l'est de la rivière Gatineau, dans l'axe de la traverse qui arrive d'Aumond, alors que la route 105 d'aujourd'hui, elle, reste toujours à l'ouest de la rivière.


Commentaires

  1. Bonne description! Je ne suis jamais allée au Baskatong. J'aimerais bien voir ce barrage un jour!

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  2. Vraiment très intéressant! Le texte est fluide. Il faut visiter cette région. Merci Charles de partager tes connaissances avec moi!

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