LE DÉFI CASPIEN
(Texte d'abord publié dans une série de trois publications sur Linked In, aujourd'hui.)
Le transport de marchandises par chemin de fer entre la Chine et l'Union européenne est en plein essor.
Les tensions géopolitique actuelles ont cependant des incidences qui viennent compliquer des conditions géographiques déjà difficiles en soi, que ce soit au niveau de l'immensité des espaces eurasiatiques ou au niveau des nombreux obstacles naturels qui s'y trouvent (notamment les nombreuses chaînes de montagnes, les innombrables cours d'eau et les vastes mers intérieures que sont la mer Noire et la mer Caspienne).
Fichée entre les monts Oural, au nord, et les plateaux iraniens, au sud, la mer Caspienne, en particulier, constitue une réalité géographique particulièrement contraignante, sa présence ayant un impact énorme sur l'organisation du transport de marchandises par rail à travers l'immense masse continentale qui s'étend entre la péninsule européenne, à l'ouest, et l'Extrême-Orient, à l'est. Orientée dans un axe nord-sud, sur une distance de 1 325 kilomètres, cette mer constitue certainement l'un des obstacles les plus importants dans le domaine du transport de marchandises par rail entre:
A) Chongking (mais aussi Séoul, Hong-Kong, Vladivostok, Pyongyang, Bangkok, Singapour, Hanoï, etc.), d'une part, et
B) Berlin (mais aussi Milan, Copenhague, Helsinki, Zurich, etc.), d'autre part.
Par sa présence même, cette vaste mer définit trois couloirs possibles entre l'Extrême-Orient et l'Europe:
1. un qui la contourne par le nord,
2. un qui la contourne par le sud et
3. un qui la traverse d'une rive à l'autre.
Chacun de ces trois couloirs présente des avantages et des inconvénients.
Le corridor du nord oblige de passer par la Russie, un itinéraire politiquement sensible à cause de la guerre ukrainienne et des tensions qu'elle a créé entre les instances dirigeantes de l'Union européenne et celles de la Fédération russe, les deux entités se disputant le même territoire et la même population. Économiquement et géographiquement, toutefois, il s'agit de l'itinéraire le plus sensé, le plus court, le plus direct, le plus pratique, le plus abordable et le plus évident, n'impliquant aucun besoin de transbordement, ni aucun détour majeur, tout en permettant un transport rapide et sécuritaire.
Il est possible que la fin du conflit ukrainien, dans la mesure où elle s'accompagne d'une détente au niveau des relations entre l'Union européenne et la Fédération russe, puisse éventuellement ouvrir la voie à un développement plus prononcé de ce couloir septentrional, par rapport aux deux autres.
Le couloir méridional, celui passant par le sud de la mer Caspienne, est beaucoup moins direct et moins économique, puisqu'il oblige le trafic en provenance de Chine (ou à destination de celle-ci) à emprunter un itinéraire assez alambiqué et parsemé de chaînes montagneuses. Partant de Chungking, par exemple, les marchandises doivent contourner le plateau tibétain par le nord, via le corridor du Kansou et la région autonome du Sinkiang, puis passer a travers toute l'Asie centrale, avec ses hautes montagnes et ses immenses steppes, avant d'atteindre le territoire iranien, lequel donne accès à la Turquie et, par-delà les détroits, aux Balkans.
Ce qui précède est vrai dans le cas de la Chine. Par contre, pour le transport de marchandises par rail entre, par exemple, Berlin et Singapour, voire entre Berlin et Bombay, le corridor méridional est de loin préférable, en terme de coût, de temps et de rapidité. Les obstacles naturels ne sont pas négligeables (désert du Thar, jungles de Birmanie ou de Thaïlande, etc,), bien sûr, tout comme les contraintes géopolitiques (relations difficiles entre le Pakistan et l'Inde, par exemple). Par contre, les avantages économiques d'un tel couloir au plan du commerce peuvent suffire à justifier les investissements nécessaires, dans le cas des obstacles naturels, ainsi qu'à faciliter les ententes ponctuelles entre gouvernements méfiants, dans le cas des obstacles politiques.
D'autres considérations militent en faveur du couloir méridional, bien que d'une manière non immédiate. Le conflit moyen-oriental prendra éventuellement fin, d'une manière ou d'une autre. Sa terminaison rendra possible, au plan pratico-pratique, le développement d'axes de transport par rail entre le continent eurasiatique (le plus vaste au monde) et le continent africain (le deuxième plus vaste au monde). Ces axes emprunteront nécessairement l'isthme de Suez, au nord de la mer Rouge, mais certains pourraient aussi passer par le détroit de Bab el Mandib, au sud de la mer Rouge, via un système de tunnels et de ponts.
Pour ce qui est du couloir central, le "Middle Corridor" dont il est question dans cet article, par ailleurs fort intéressant, il présente plus d'inconvénients que d'avantages, d'une façon très générale, à cause des transbordements nécessaires. Pour passer des marchandises d'une rive à l'autre, la solution la plus simple (mettre les marchandises sur des navires faisant la navette d'une rive à l'autre) implique en effet beaucoup de manipulations et de délais, dans les ports, sans parler du déplacement des navires eux-mêmes sur des dizaines de kilomètres d'espace maritime.
Ce couloir central, par contre, peut être avantageux pour certains pays, dans certaines circonstances. Par exemple, il permet aux pays européens de contourner la Fédération russe. Il peut aussi être utilisé pour des liaisons relativement directes entre les pays majoritairement turcophones de l'ouest de la mer Caspienne (Turquie et Azerbaijan) et les pays majoritairement turcophones de l'est de la mer Caspienne (Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan et Kirghizstan), quoique la liaison entre les deux groupes, à travers le Sud-Caucase, peut entraîner certaines contorsions, l'ensemble Géorgie/Arménie faisant l'objet d'un jeu d'influence impliquant plusieurs puissances non caucasiennes, dont la Russie, l'Iran, la Chine, les États-Unis, l'Inde, Israël, les pays arables et ceux de l'Union européenne, le tout représentant un noeud d'influences d'une remarquable complexité...
Le couloir central, à travers la mer Caspienne, peut aussi être avantageux pour la Chine dans certaines circonstances, par exemple si les relations entre Beijing et Moscou et/ou entre Beijing et Téhéran se dégradent au point où les échanges commerciaux entre l'Extrême-Orient et l'Union européenne (voire, un jour, entre l'Extrême-Orient et l'Union africaine) ne peuvent plus emprunter le territoire russe et/ou le territoire iranien.
https://www.dailysabah.com/business/transportation/1st-freight-trains-depart-from-china-to-turkiye-via-middle-corridor
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