LA MAISON DES FOUS

La Maison des morts, c'était le bagne sibérien, dur et impitoyable, où Fyodor Dostoievski a passé quatre ans de sa vie, au XIXe siècle, comme prisonnier politique. La Maison des fous, c'est l'endroit (pourtant accueillant et chaleureux) où vivent ceux et celles qui doivent mourir éventuellement, à la suite d'une longue folie dégénérative, tout simplement parce que l'on ne sait plus quoi faire d'eux, ni d'elles..
La maison des fous, ce n'est pas le Canada, même si cela peut parfois donner cette impression, ce pays ayant un urgent besoin d'une réforme politique complète, "from top to bottom", de la cheffe d'État de ce royaume britannique à ses structures les plus fondamentales (quartiers, villages, etc.). Ce n'est pas non plus l'ONU, avec sa multitude d'instances multi-glottes et poly-nationales (ou est-ce l'inverse?). Peu importe, d'ailleurs, car la Maison des fous, c'est là où vit ma mère depuis quelques années.
Mon père, un avocat à la retraite, est décédé il y a un peu plus de trois ans. Libre penseur, très cultivé, il avait une opinion sur presque tout, habituellement fondée ou très défendable. Il nous impressionnait beaucoup, nous, ses cinq enfants, de par la vigueur et le bon sens de son intellect. Il est mort à 90 ans, entouré des siens, d'usure, essentiellement, i.e. de vieillesse, l'appareil corporel fatigué et diminué, mais l'appareil cérébral intact et lucide jusqu'au dernier instant, alors qu'il succombait à la dernière d'une longue série de pneumonies.
Ma mère, pour sa part, était une femme forte et énergique, infatigable,
  • capable de torcher cinq enfants pas toujours très sages et souvent trop turbulents; 
  • capable aussi de s'occuper d'une maison, d'en faire un foyer accueillant, vivant et chaleureux, d'une façon impeccable et irréprochable; 
  • capable également de penser toujours aux autres d'abord, comme une vraie infirmière doit le faire, 
  • capable encore de travailler dur, très dur, sans arrêt; 
  • capable enfin d'assumer des responsabilités, en tant que responsable de plancher dans un établissement de santé, le Foyer du Bonheur, sur le boulevard Émond, secteur Hull, à Gatineau.
Aujourd'hui, ma mère est encore vivante, mais sa tête ne fonctionne plus comme autrefois. Elle souffre de l'Alzheimer, une forme de démence, et son état se dégrade constamment. Elle se trouve dans une section spéciale d'un établissement de santé (une résidence pour personnes âgées), celui-là même,  d'ailleurs, qu'elle arpentait auparavant, le Foyer du Bonheur, un endroit où plusieurs employés gardent encore de très bons souvenirs de son passage professionnel, à cette époque où elle était connue sous l'appellation "garde Millar".
Aujourd'hui patiente et presque nonagénaire, elle n'est presque plus capable de réflexion autonome. Elle s'exprime de façon cohérente mais ne reconnaît ses propres enfants qu'à peine et très vaguement, tandis que toute son existence se réduit à des souvenirs remontant aux années 30 et ne signifiant plus rien aux gens d'aujourd'hui. Pour le dire simplement, personne ne sait plus de quoi elle parle sans cesse, entre deux prières ou deux pleurs...
La plupart de ses voisins sont dans une situation assez semblable et balbutient à des degrés divers de démence ou d'égarement. J'essaie d'y aller a toutes les semaines pour lui tenir compagnie quelques instants, un quart d'heure ou une demi-heure, même si elle ne remarque pas toujours ma présence près d'elle. J'étais là ce matin, d'ailleurs. Je ne sais pas quoi lui dire, habituellement. En fait, j'ai souvent été comme ça, avec elle, alors qu'avec mon père, il y avait toujours de quoi discuter,  toujours, généralement des derniers événements de ce monde cinglé et trop animé.
Je garderai toujours un vif souvenir des parents que j'ai l'infinie chance d'avoir eu, pendant presque toute ma vie. Ils m'ont appris le plaisir d'apprendre et la joie de comprendre. Les soirées de mon enfance et de mon adolescence ont souvent été incroyablement silencieuses, alors que mes parents lisaient paisiblement, chacun de leur côté, tout comme mes frères et mes soeurs, ainsi que moi-même, qui un livre, qui une revue, qui un hebdomadaire, qui un quotidien, qui une pièce de théâtre, qui un livret d'instruction, etc. C'était ça, les folles soirées chez les Millar...
De toute ma vie, je n'ai jamais appris à patiner ou à jouer au hockey (un péché mortel au Canada), comme le font les gens considérés normaux. Non, moi, j'ai surtout appris à lire...
À cause de mes parents, tant celui qui est disparu à jamais que celle qui, aujourd'hui, vit dans la Maisons des fous, entourée de tant de soins et d'attentions.
Chers parents, ma plus grande inspiration, je vous aimerai toujours...


Commentaires

  1. Merci de me faire connaître tes parents à travers tes écrits, mon ami.

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  2. Souffre-t-on d'Alzheimer ou est-ce les gens qui entourent la personne qui en sont affectés.
    Voilà un sujet à débattre!

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