BÉOTHUKS: LE GÉNOCIDE CANADIEN

 

Dessin exécuté par Shanawdithit, une femme béothuke capturée en avril 1823 par des trappeurs terre-neuviens et conduit à la capitale, Saint-Jean, où elle a appris quelques mots d'anglais avant de mourir de tuberculose en 1829.

Les Canadiens tendent à avoir une vision un peu idéalisée de leur passé.

Pourtant, tout n'a pas été rose dans l'histoire canadienne, loin de là: guerres, massacres, déportations, tentatives d'assmilination, etc. Tout cela cadre bien mal avec la façon un peu angélique dont la majorité des Canadiens voient leur histoire. C'est d'autant plus vrai que la mentalité inclusiviste actuelle, basée sur l'acceptation de l'humanité dans toutes ses facettes et toutes ses différences, empêche souvent de bien comprendre comment les gens pensaient il n'y a pas si longtemps.

Il n'y a pas si longtemps, les gens voyaient les autochtones canadiens comme des 'sauvages', c'est-à-dire des être vivant dans la nature sans aucune règle sociale, sans aucune civilisation, sans aucun encadrement moral. Il n'y a pas si longtemps, les autochtones étaient vus, présentés et perçus comme des créatures sans importance, dont la seule particularité était d'être ''dans le chemin'', d'empêcher le progrès et l'avancement de la société moderne, laquelle ne les incluaient pas, semble-t-il. Il n'y a pas si longtemps, on ne savait quoi penser des autochtones, ceux-ci ne correspondant pas aux canons de ce qui est considéré normal au Canada. Un Canadien normal, dans l'opinion publique, était blanc et anglophone. L'évolution des choses, au cours des dernières décennies, faisait en sorte qu'il pouvait aussi être francophone, mais c'était l'extrême limite de ce qui était permissible, envisageable et pensable.

Il n'y a pas si longtemps, les autochtones étaient des citoyens de seconde classe. Le pire, c'est que c'est encore le cas, sur bien des plans. Ils demeurent défavorisés et déclassés, trop souvent relégués à des réserves qui sont enfouies au fond des forêts et qui sont autant de poches de pauvreté et d'abandon. Il y a toutefois une prise de conscience qui est en train de se faire et de s'approfondir, à tous les niveaux de la société canadienne, et cela est de bon augure pour les groupes autochtones de ce pays, lesquels peuvent de plus en plus aspirer à une amélioration de leur situation et un accroissement de leurs capacités d'action quant à leur avenir.

Toutefois, avant de bâtir l'avenir, il convient de bien comprendre le passé et le présent. Il se trouve, dans notre histoire, des choses dont l'on ne parle pas et dont le gouvernement se garde bien de souligner, afin de ne pas nuire à l'image globalement bonne du Canada sur la scène internationale.

Le plus honteux secret de l'histoire canadienne, ce n'est pas la déportation des Acadiens. Ce n'est pas non plus les tentatives d'assimilation culturelle et linguistique des Canadiens français. C'est le sort des Béothuks, ce peuple bien oublié aujourd'hui qui habitait autrefois sur l'île de Terre-Neuve.

L'histoire des Béothuks est affligeante. C'est le récit d'une incompréhension sans borne entre des autochtones peu nombreux et des colons européens prenant graduellement possession d'une nouvelle terre. Les Béothuks étaient quelques milliers en nombre et leur langue était étroitement apparentée aux langues algonkiennes, c'est-è-dire qu'elle relevait de la même famille linguistique que celles des Micmacs ou des Montagnais (Innus) voisins. Les colons, pour leur part, étaient majoritairement de nationalité irlandaise, de langue anglaise et de citoyenneté britannique.

La rencontre entre un peuple minuscule et une partie de l'Empire britannique ne pouvait être quelque chose de plaisant et d'équilibré, d'autant plus que leur niveau technologique était différente, tout comme leurs valeurs. Pour les Béothuks, les nouveaux arrivants étaient des intrus utilisant leur territoire comme si c'était le leur. Pour les colons, les autochtones étaient des empêcheurs de danser en rond, des voleurs et des gens dangereux et peu fiables.

Un génocide n'était peut-être pas inévitable comme tel. Après tout, si les peuples autochtones du Canada, en général, sont sortis perdants et diminués de leurs contactcs avec les Européens, ils n'ont pas disparu pour autant. Cela n'a pas été le cas des Béothuks. Les facteurs historiques et matériels étaient cependant différents dans le cas des Béothuks. Terre-Neuve est une île, d'abord, dont les côtes étaient facilement accessibles à une puissance maritime comme l'Empire britannique, avec la conséquence que l'intérieur de l'île était le seul endroit sûr et sécuritaire pour les Béothuks. Ceux-ci ont aussi fait des erreurs politiques difficiles à corriger, se retrouvant en guerre ouverte à la fois avec les Micmacs et les colons irlandais.

Dire que les relations étaient mauvaises entre Béothuks et les colons serait un euphémisme. En un mot, les seconds tiraient sur les premiers à vue. La simple apparition d'un Béothuk entraînait chez les colons blancs une réaction de peur et le besoin d'éliminer la menace qu'il représentait à leurs yeux. Cela explique sans doute que les derniers Béothuks évitaient de plus en plus les zones côtières et leurs ressources alimentaires relativement abondantes et préféraient se cacher dans les forêts de l'intérieur de l'île. Les tout derniers sont morts au début du XIXe siècle, dans la région de la rivière des Exploits et, surtout, du ''lac des Indiens'' ('Indian Lake), au sud-ouest de l'île, victimes du manque de nourriture, de maladies, du froid et de l'isolement. 

La définition de 'génocide' n'est pas uniforme d'une source à l'autre et il est vrai que les autorités britanniques, après 1759, ont tenté de protéger les Béothuks des actions menées par la population blanche de l'île. Il demeure que la disparition des Béothuks comme peuple est une réalité concrète, découlant des mauvaises relations entre deux peuples incapables de se comprendre, de se tolérer et de cohabiter dans un environnement pauvre en ressources.


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