LOI SUR LA LAÏCITÉ DE L'... ÉTAT??

 


En droit, la laïcité est le « principe de séparation dans l'État de la société civile et de la société religieuse  » et « d'impartialité ou de neutralité de l'État à l'égard des confessions religieuses ». Le mot désigne par extension le caractère des « institutions, publiques ou privées, qui sont indépendantes du clergé et des Églises » (Wikipédia, version en langue française, 2021)

Adopté par l'Assemblée nationale du Québec le 16 juillet 2019, sous bâillon, donc sous la contrainte, le projet de loi 21 (Loi sur la laïcité de l'État) a suscité (et continue de susciter) beaucoup de débats, d'incertitudes, d'incompréhensions et de contestations. Élaboré par le gouvernement provincial, sous la houlette de la Coalition avenir Québec, le projet de loi a pour but de moderniser le Québec en le libérant des derniers relents de l'emprise du catholicisme, en particulier, et de la religion, en général.

La nature du dossier est très sensible et l'unanimité est loin de régner sur la question, même si la population de la province soutient majoritairement le gouvernement provincial sur ce sujet. Les groupes religieux s'y opposent bec et ongle, tout comme le gouvernement fédéral.

Les problèmes sont nombreux. Le titre même du projet de loi suscite des interrogations légitimes. Il s'agit pour mémoire d'une éventuelle Loi sur la laïcité de l'État. Il n'est pas nécessaire d'avoir un esprit légaliste ou formaliste pour que la question se pose immédiatement: 'De quel État parle-t-on exactement?' Le nom du projet de loi (et les fonctionnaires et législateurs qui l'on conçu) font visiblement référence ici à un État du Québec, alors qu'une telle entité n'existe tout simplement pas et n'a jamais existé. Le référendum de 1980 et celui de 1995 avaient pour but de mettre en branle un processus menant à la naissance d'un État souverain, centré sur l'actuelle province de Québec, mais ils n'ont pas suscité suffisamment de suffrages pour que les démarches en ce sens puissent être amorcées. Donc, en toute logique, la province de Québec demeure une province canadienne, avec les pouvoirs dévolus à une province, dans le cadre de ce qui est encore un royaume canadien, chapeauté par une cheffe d'État, en la personne d'Élisabeth II, également souveraine de trois autres royaumes britanniques, l'Australie, la Nouelle-Zélande et le Royaume-Uni.

Il n'y a donc pas d'État québécois comme tel, mais seulement un gouvernement provincial, agissant avec les mêmes prérogatives que ceux exercés par les gouvernements des neuf autres provinces canadiennes. Il faut donc entendre que la loi envisagée est en réalité une Loi sur la laïcité du gouvernement. Qu'est-ce que cela veut dire exactement? Parle-t-on ici, sous le vocable 'gouvernement', du premier ministre et de son conseil des ministres? Parle-t-on de ceux-là, plus les députés du caucus du parti dont ils sont issus? Parle-t-on de tous ceux-là, plus les différents ministères et autres agences composant l'appareil administratif dépendant directement des élus formant le parti au pouvoir? Parle-t-on même de l'ensemble de l'Assemblée nationale, en incluant donc les partis d'opposition?

Qu'est-ce qu'un gouvernement, exactement? Que doit-on entendre exactement par un gouvernement laïc? S'agit-il d'un gouvernement dont le premier ministre ne peut être religieux? Il lui serait inteerdit d'être catholique, musulman, bouddhiste ou hinhoudiste? S'agit-il d'un gouvernement dont les différents ministres ne peuvent être ni musulmans, ni bouddhistes, ni hindouistes, ni fidèles d'une autre religion? Auraient-ils le droit, sous l'égide d'une telle loi, d'éprouver un sentiment religieux, mais sans pouvoir le faire d'une manière ostentatoire, en arborant par exemple un signe religieux visible? Les employés du réseau public devraient-ils être considérés comme des extensions du gouvernement, qu'ils soient enseignants, préposées aux bénéficiaires, infirmières ou fonctionnaires provinciaux, voire employés d'une société appartenant au gouvernement, telles Hydro-Québec, la Société des alcools du Québec ou Loto-Québec? Faut-il comprendre qu'une infirmière aborant un voile serait en contravention des dispositions de la Loi et, du coup, sujette à d'éventuelles sanctions? Faut-il conclure qu'un docteur spécialisé en pédiatrie (par exemple), portant une croix accrochée à une chaînette suspendue sur son sarrau, serait lui aussi en situation d'illégalité? Faut-il craindre que le docteur spécialisé en question puisse profiter de sa situation d'autorité pour faire du prosélytisme et menacer un patient de ne point procéder à une opération si celui-ci refusait de se convertir au christianisme, voire, dans les cas où le docteur appartiendrait à une autre foi, à l'Islam / au bouddhisme / à l'hindouisme / au jaïnisme / à toute autre foi religieuse?

Pour quelle raison exactement a-t-on à ce point peur d'être exposé au prosélytisme religieux? Pour quelle raison a-t-on si peur qu'une enseignante musulmane et voilée soit irrésistiblement tentée d'entreprendre de convertir ses élèves à sa foi? Suppose-t-on qu'une enseignante musulmane et non voilée serait moins portée à commettre un tel acte délictueux? Pourquoi suppose-t-on que les parents de tels élèves ne pourraient pas tout simplement intervenir auprès de la direction de l'école pour que cessent de telles démarches de prosélytisme, s'il advenait que lesdites démarches prennent place, au lieu de supposer qu'il soit nécessaire de les prévenir, avec toute la rigueur de la loi, alors qu'il suffirait d'interdire de commetre de tels actes à tout enseignant religieux ou toute enseignante religieuse, dès leur embauche? D'où vient exactement l'idée qu'il soit indispensable d'asseoir le caractère non religieux de la province et de son gouvernement sur le socle d'une Loi votée par une instance provinciale? Même si le Québec était un État souvernain, ce qu'il n'est pas, répétons-le, en quoi faudrait-il absolument inscrire son caractère laïque dans le béton d'une Loi devant être observée et respectée par tous et par toutes?

Il y a quelque chose d'étrange et d'incongru dans toute cette histoire. On ne peut rien n'y comprendre si l'on ne se rappelle pas l'histoire pas si lointaine de notre province et de notre peuple. Les Canadiens français d'antan, aussi bien ceux vivant hors du territoire québécois que ceux y résidant, étaient profondément religieux, parfois à l'excès, même, se soumettant volontairement à un catholicisme sincère et vivace, mais aussi pesant et envahissant, le clergé agissant comme une sorte d'autorité morale incontournable et trop souvent inflexible. Nous avons émergé de cette époque avec l'envie folle de lui tourner le dos une fois pour toutes. Pour le dire en un mot, nous sommes passés d'un extrême à un autre extrême: nous étions trop catholiques, nous sommes devenus presqu'anti-religieux.

C'est la seule manière de comprendre l'existence même d'un pareil projet de loi, ainsi que l'absurdité profonde de toute la démarche qu'il implique Le laïcisme nous paraît une chose estimable, préférable à une religion vue comme basée sur quelque chose de non scientifique et de surnaturelle. C'est un point de vue, mais pourquoi donc vouloir en faire la marque distinctive d'un gouvernement ou d'un État, au risque évident de lui donner une image anti-religieuse? La science est aussi quelque chose de prisé et d'estimé, mais il ne nous viendrait pas à l'idée d'adopter une Loi donnant un caractère supposément scientifique au gouvernement (ou à un éventuel État). Si un 'État laïque' peut paraître un idéal valable, pourquoi pas un 'État scientifique'? Il est vrai que cela ferait irrésistiblement penser au 'socialisme scientifique' dont se réclamaient (trop audacieusement) les premiers marxistes, montrant qu'ils croyaient détenir une vérité révélée et indépassable. Dans le même esprit, pourquoi ne pas proposer un 'État mathématique', un 'État juste', un 'État noble', un 'État écologique'? C'est tout aussi idiot.

La séparation entre la société civile et la société religieuse est une chose. Cela signifie simplement que la société, c'est-àdire la nation, le peuple, cesse d'être entièrement religieuse. Dans le cas de la société québécoise (ou canadienne-française), cela veut dire qu'elle cesse de se voir comme exclusivement 'catholique' et accepte la multiplicité et la diversité des croyances, qu'elle choisit donc la tolérance comme principe de base dans ce domaine. Cette séparation ne peut donc, en conséquence, être entendue comme interdisant l'expression de tout sentiment religieux, que ce soit au niveau de divers membres de la société ou de ses représentants, politiques ou autres, ce que l'on appelle communément ''les personnes en situation d'autorité''.

La politique est l'art du possible, dit-on, pas une science exacte. C'est ce que l'on dit et c'est tout à fait vrai. L'humanité est composée de gens imparfaits cotoyant et jugeant des gens imparfaits, au sein d'une société imparfaite, bien que souvent guidée par des idéaux supposément parfaits. Ces idéaux, qu'ils soient personnifiés par les codes moraux des religions ou les impératifs des idéologies ou des diverses philosophies existantes, demeurent irréalisables et inatteignables dans le monde réel, le seul que nous connaissions avec certitude, et il ne peuvent être autre chose que de vagues rappels de ce que nous pourrions être si nous étions l'égal des dieux d'autrefois, ce qui est loin, très loin, de ce que nous sommes en réalité, soit les membres d'une espèce vivante, au sens biologique du mot 'espèce', semblables en bien et en mal aux autres espèces animales d'un monde parfois décevant, parfois inspirant.

À mon sens, le projet de loi n'aurait jamais dû être conçu ou imaginé et ne correspond à aucun besoin réel. Pourquoi vouloir imposer aux gens qui ont des sentiments religieux (et ils sont nombreux) nos modes de pensée, nos conceptions particulières et nos propres croyances? Quelqu'un pourrait-il me dire en quoi la nomination d'un ministre ayant des croyances bouddhistes serait révoltant, monstrueux ou inacceptable?

Il est probablement trop tard pour faire machine arrière et il faut craindre que le seul résultat tangible de toutes ces âneries et ces pitreries soit de faire éventuellement rire de nous sur une bonne partie de la planète. Tous ces efforts, ce temps et ces soucis pour aboutir à cela...

Nous pouvons être tellement bêtes...






Commentaires

  1. M. Millar, je suis d'accord à 90 % avec vous.
    Le 10 % c'est à cause que vous ne mentionnez pas que la loi 21 a été voté sous bâillon.

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