STATIONS SPATIALES: LE DOUBLE JEU DES RUSSES


Mir, ancienne station spatiale soviétique. La toute première station spatiale, Salyut 1, a aussi été une création soviétique, dès 1971, deux ans après la première marche sur la Lune, par l'Américain Neil Armstrong. Tout comme l'exploit accompli par Youri Gagarin, le premier humain à atteindre l'espace, au début des années 60, l'apparition de Salyut 1 a été jetée dans l'ombre par la presse américaine et la façon américaine de voir les choses, ce point de vue étant évidemment le seul possible et admissible. De nouveau, il importe de se recalibrer et de réviser ce que nous avons retenu des événements du passé et la manière dont nous les avons interprété et compris.

Il y a un double jeu qui se produit en ce moment et les Russes, il me semble, jouent au plus fin avec les Américains.

Ils disent officiellement vouloir bâtir leur propre station spatiale en orbite terrestre, alors que l'avenir de la station spatiale internationale (SST) est limité dans le temps et que la Chine, exclue par les Américains de celle-ci, a déjà entrepris de mettre en place sa propre station, apparemment assez petite.

Il y a quelque chose de louche dans tout cela. Russes et Chinois ne se cachent pas pour évoquer des projets de bases en orbite lunaire ou sur la surface de notre satellite naturel. Mars excite aussi les convoitises des deux grandes puissances spatiales. La course à l'espace a d'abord opposé les Soviétiques (dont les Russes sont les principaux héritiers) et les Américains, puis d'autres pays ou groupes de pays se sont progressivement ajoutés, surtout le bloc européen (notamment la France, forte de sa base de Kourou en Guyane française, mais avec l'appui incontournable des autres pays de l'Union européenne, le domaine spatial demandant des moyens et des ressources financières gigantesques) et le Japon. Encore d'autres pays se sont aussi joints au jeu: Israël, l'Inde, les Émirats arabes unis, le Canada et d'autres.

La position de Roscosmos quant aux projets spatiaux russes suscite l'interrogation. La Russie, proche alliée de la Chine, tout comme l'Iran, envisage-t-elle réellement de faire cavalier seul? Considère-t-elle être assez riche et assez puissante pour pouvoir mener un programme spatial autonome, distinct de celui des Américains et de celui de la Chine? Si c'est le cas, combien de temps pense-t-elle pouvoir tenir le coup dans une telle entreprise, avec une démographie plutôt déclinante et une économie fortement dépendante du gaz naturel et du pétrole? Il est difficile d'analyser à distance le processus décisionnel de Roscomos et l'attitude du gouvernement russe.

La NASA demeure un acteur incontournable et capable d'innovation. Elle le prouve avec un mini-hélicoptère automatique fonctionnant à l'énergie solaire, sur Mars. Cette agence spatiale, toutefois, risque de se retrouver éventuellement (ça peut prendre des années, voire des décennies) avec le même problème que la Russie: une démographie stagnante (pas aussi déclinante que la russe mais faisant essentiellement du sur-place) et une économie dont le poids relatif à l'économie chinoise envoie des signaux d'alarme au gouvernement américain qui parle de surcompétitionner l'Empire du milieu mais n'explique pas trop comment y parvenir. La technologie est toujours importante (les Américains aiment d'ailleurs beaucoup les gadgets en tout genre), mais les indicateurs relatifs aux capacités industrielles et économiques fondamentales ne leur sont pas favorables. Il sufit de penser à la production de métaux de base comme l'acier ou l'aluminium ou le développement des infrastructures (lignes électriques, parcs éoliens, parcs solaires, chemins de fer ultra-rapides, autoroutes, ponts, ports, barrages, etc.), sans parler de l'industrie automobile où le nombre de compagnies chinoises encore minuscules, la popularité de la propulsion électrique en Chine et la taille même du marché chinois fait délirer le capitalisme mondial, y compris celui qui est chinois, sans même parler du domaine très pointu de l'aviation civile, dans lequel le présent duopole américano-européen pourrait très bien se transformer en triopole sino-américano-européen, puis en duopole européo-chinois, sur un horizon temporel très lointain.

Il n'est pas nécessaire d'être devin pour anticiper ce qui risque fort d'arriver et les Russes ne sont pas plus idiots que d'autres. Il est possible que la grandeur passée du domaine spatial soviétique leur donne des idées dont la durée de péremption sera limitée. Il est aussi possible que le gouvernement russe, troublé par la contestation d'un Navalny et les chances très incertaines de réélection d'un Poutine, sans parler de la perspective d'un retour au pouvoir d'un Parti communiste qui trône tout de même au deuxième rang des intentions de vote pour les prochaines élections générales, ne voit plus les choses d'un oeil assez lucide pour estimer la nature réelle des changements qui s'amorcent. Il est possiblement envisageable, aussi, que le gouvernement se donne le temps de voir venir les choses et ne voit rien de mal à créer un artificiel et temporaire brouillard.

Il y a fort à parier que le double jeu russe provient en fait d'une attitude prudente et attentiste. La Russie pèse ses options, tout simplement, et elle ne va pas se gêner pour prendre son temps. Qu'est-ce qui presse, en réalité, l'actuelle SSI en ayant encore pour quelques années et la future station chinoise en étant à peine à ses premiers modules. En fait, si la Chine et son allié russe sont le moindrement futés et prévoyants (on parle ici, faut-il le rappeler, de deux pays habitués chacun à planifier son économie passée et/ou présente et/ou future, ainsi qu'aux calculs élaborés), qui tombera en bas de sa chaise s'il apprenait que le dragon chinois a prévu le coup en prévoyant l'ajout d'éventuels modules russes ou autres? Si la Russie révèle que ses intentions réelles sont de se joindre au programme spatial chinois, il est très possible que d'autres agences fassent éventuellement de même, au cours des décennies suivantes, notamment l'européenne et la japonaise, quitte à ce qu'elles commencent par se déclarer 'neutres' et à participer aux deux programmes concurrents en même temps, au début. Les agences de l'Inde et des Émirats seront possiblement plus difficiles à attirer dans le giron chinois et, pour ce qui est de celle du Canada, l'alliance de longue date entre ses deux pays majoritairement anglo-saxons sera très certainement déterminante.

Quoi qu'il en soit, l'exploration de l'espace proche et le développement des activités humaines dans la Première frontière spatiale, celle qui lie l'orbite terrestre, la Lune et Mars, ne cesseront pas et continueront de s'accélérer, sous le coup de la compétition entre les acteurs politiques, de l'ampleur des ressources potentiellement exploitables (eau, métaux, hydrogène, oxygène, etc.) et de la participation de plus en plus vigoureuse de joueurs du secteur privé, surtout représenté présentement par de puissantes firmes américaines. Est-il nécessaire de dire que l'apparition des toutes premières firmes chinoises, lorsque cela se produira (c'est inévitable), ne saurait guère tarder et que celles-ci, non seulement se multiplieront mais prendront aussi du coffre?

Disons-le, ce genre de choses, c'est pour les plus jeunes. Les plus vieux d'entre nous ont fait leur vie ou ont trop de raisons de ne pas vouloir en changer. Les plus jeunes et audacieux d'entre nous accepteront le défi d'aller vivre ailleurs que sur Terre, durablement, lorsqu'ils en auront la possibilité, puis il y aura des naissances, une d'abord, unique et singulière (sera-ce un garçon ou une fille?), puis d'autres et d'autres encore... L'humanité non-terrestre adviendra et s'ajoutera à l'humanité terrestre, comme les continents non-africains se sont ajoutés au continent africain, le berceau de l'espèce. Ce sera un ru engendrant un ruisselet engendrant un ruisseau engendrant une rivière engendrant un fleuve... Nous sommes à la charnière de deux univers, celui de Terra-l'Unique et celui des mondes multiples. Une grande aventure attend l'humanité et je n'en aurai vu que le tout début. Mes filles découvriront les chapitres suivants...

AJOUT 1 - Une idée m'est venue en tête, au sortir du sommeil, ce matin. Il est possible que la Chine désire réellement se donner une petite station spatiale, utilisable quelques années seulement. Il est très envisageable que l'intention réelle de la Chine soit de créer une vraie station spatiale, c'est-à-dire une installation à gravité réelle. Il s'agirait de la toute première du genre. Cela impliquerait un mécanisme tournant pour créer un semblant de gravité le long des parois extérieures d'un genre de beigne, par effet centrifuge. Une telle chose conviendrait mieux pour une installation destinée à servir à long terme et à être utilisée comme carrefour majeur entre la surface terrestre et les mondes extérieurs. Une structure de ce type pourrait être conçue pour pouvoir s'agrandir éventuellement, par l'ajout de tores supplémentaires, d'un côté comme de l'autre. Le type actuel de station spatiale, à gravité nulle, est mieux adapté à des bases orbitales secondaires, que ce soit à usage lunaire ou martien, pour commencer. Plus j'y pense, en fait, et plus cela me semble probable. Nous verrons bien.

AJOUT 2 - Je viens d'apprendre que les Chinois envisagent d'installer une centrale solaire en orbite, afin d'alimenter en énergie des installations au sol. Cela montre l'ambition de leurs intentions et l'ampleur de leurs moyens. Je ne serais pas surpris qu'une telle centrale voit le jour à proximité plus ou moins immédiate d'une future station multinationale, plus importante que celle dont la construction a débuté, avec la participation de plusieurs agences spatiales, dont la russe. C'est peut-être tout un complexe qui est appelé à voir le jour, destiné à servir un jour d'interface entre la surface terrestre et les mondes extérieurs. Qui vivra verra.

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