LE RAPT D'ONCLE SAM PAR LES REPTILIENS D'OUTRE-ESPACE...


Les mythes véhiculés par la culture populaire d'un pays ou d'un peuple peuvent permettre d'en apprendre beaucoup sur la mentalité, les tournures d'esprit ou les schèmes mentaux du dit pays ou peuple.

C'est le cas d'un mythe populaire très fréquent dans la culture populaire américaine, celle des enlèvements par des extra-terrestres, souvent accompagnés de tests corporels ou d'expériences médicales en tout genre, tous non désirés et non désirables, généralement suivis d'un retour involontaire sur Terre, plus ou moins mal en point. Ce mythe moderne, datant tout de même de plusieurs dizaines d'années, est d'ordre récurrent et assez typique de la culture américaine en général, laquelle le relaie un peu partout sur la planète, grâce à son grand pouvoir de résonnance et à l'indéniable prestige de la langue anglaise (via des livres, magazines, films, vidéos, bandes dessinées, séries télévisées, etc.).

Pensons seulement à la très populaire série The X-Files, laquelle, pendant une dizaine d'années, a propagé largement ce mythe, accompagné de variations diverses sur les thèmes de la colonisation, de l'asservissement de l'humanité et de conflits entre espèces non-terrestres. Ce mythe, en quelque sorte, vient un peu remplacer, comme tant d'autres mythes, les histoires relatives aux anges, leprechauns, fées, golems et autres créatures plus ou moins fantastiques nés du vaste imaginaire humain. Rappelons-nous des humains unijambistes et hommes à deux têtes qui ornaient les marges des vieilles cartes d'autrefois, près des mentions 'Terrae incognita', 'Here be dragons', etc.

Les délires surprenants de QAnon, nouvelle idéologie non-officielle du Parti républicain américain et de la droite nationaliste de ce pays, reprennent en partie les grandes lignes ce mythe, notamment avec l'introduction de créatures 'reptiliennes'. Celles-ci, cachées parmi nous, participeraient aux exactions imaginaires de pédosatanistes influant sur les délibérations du monde, grâce à des réseaux mondiaux manipulés par la Chine, tout comme celle-ci, d'ailleurs, aux yeux de l'ex-président Donald Trump, était la source de fausses alarmes concernant l'urgence climatique, supposément le produit d'un complot de l'Empire du milieu.

Ce genre de mythe ne surgit pas de rien et réflète habituellement des peurs cachés et des préoccupations flottant dans la psyché des personnes faisant partie de la culture du pays ou du peuple en question. Curieusement, le mythe de l'enlèvement d'Américains (généralement blancs et riches) par des extra-terrestres aux intentions malveillantes fait irrésistiblement penser à ce que le président amééricain actuel, Joe Bidden, aime appeler le péché originel de l'Amérique.

Ce mythe, c'est bien sûr la mise en esclavage de millions de Noirs, capturés en Afrique et amenés contre leur gré en Amérique pour y travailler de force, dans des conditions parfois infernales, le tout sur fond de colonisation occidentale et de conflits économiques entre puissances européennes. Il y a des parallèles troublants entre ce péché originel, lavé en partie (mais pas totalement) par la libération des esclaves survenue à la fin de la guerre de sécession du XIXe siècle, et le mythe moderne des rapts d'Américains blancs et riches. La crise des droits civiques provoqués par les lois Jim Crow, au milieu du XXe siècle, sans parler de la persistance troublante d'institutions vénéneuses comme le Ku Klux Klan, montre bien que la conscience américaine n'est pas apaisée totalement par l'expérience vécue bien malgré elle par la minorité afro-américaine. Les relents de suprémacisme blanc qui ont accompagné le mandat du président Trump sont aussi un reflet évident de la persistance du malaise racial que ressentent les États-Unis, encore aujourd'hui.

Les Blancs américains, bien avant l'indépendance des treize colonies anglaises originelles, ont participé volontairement aux opérations de capture de millions d'Africains, sur le continent noir, de transport de ces captifs, enchaînés, au fond d'immondes navires négriers, de vente aux enchères des futurs esclaves et de la mise au travail forcé de cette main-d'oeuvre servile, corvéable à merci. Aujourd'hui, par un curieux retour des choses, les Blancs américains (plus exactement, bon nombre d'entre eux) croient qu'ils peuvent être l'objet de capture sur leur propre sol, de transport involontaire dans des véhicules non-terrestres, d'utilisation perverse de leur personne contre leur gré et d'une série de traitements inhumains et répugnants, avant d'être relâchés sur Terre, hagards et mal en point.

Il y a bien sûr des divergences, suscitées peut-être par une méconnaissance de ce qui s'est réellement passé, il y a des siècles de cela, et qui a été vécu par les ancêtres des Blancs américains d'aujourd'hui et de leurs compatriotes Afro-Américains. Pour donner un seul exemple, les futurs esclaves n'étaient pas capturés par les équipages de navires esclavagistes sur les plages mêmes de l'Afrique ou tout près des côtes, comme c'est souvent ce que l'on croit, mais étaient en fait généralement constitués de prisonniers de guerre capturés dans des conflits se déroulant loin des rivages, entre royaumes africains rivaux, puis vendus par les royaumes victorieux à des marchands blancs (et parfois noirs!), contre des armes pour poursuivre le processus.

Il n'empêche que les parallèles entre le mythe moderne des rapts extra-terrestres et le souvenir conservé de ce qui s'est passé lors du ''péché originel de l'Amérique'' sont assez troublants et font réfléchir sur la mémoire collective et sa capacité surprenante d'interpréter et de réinterpréter les événements du passé. Cela souligne que le passé, même lointain, a une influence sur le présent, indéniablement, et peut aussi, par ricochet, avoir des effets imprévisibles sur l'avenir de la société concernée.

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