TRANCHE DE VIE: ROBE DE MARIÉE ET PNEU DE SECOURS...


Texte écrit par Pierre Calvé, originaire de Maniwaki, ma ville natale, et publié initialement sur Facebook. Il est reproduit ici avec la coopération spéciale d'Anne Corletto. Le texte est essentiellement une tranche de vie composée par une personne remarquablement habile avec les mots, comme on le verra ci-dessous. Bonne lecture!

Robe de mariée et pneu de secours

C’était en août 1964, quelques jours avant le mariage de ma sœur Suzanne. Je venais tout juste de terminer mes études collégiales et mon grand-père me fit pour l’occasion le plus beau cadeau que je pouvais recevoir : sa bonne vieille Ford 1952 dont il ne se servait à peu près plus. Le problème, c’est qu’elle était tellement rouillée que la poussière des chemins entrait par les planchers et tout autour des bas de portes de sorte qu’en revenant de chaque sortie sur les routes non pavées autour de Maniwaki, il m’était défendu d’entrer dans la maison avant que ma mère m’ait passé vigoureusement à la brosse, sans oublier mes cheveux qui étaient alors d’un beau beige cendré.

Toujours est-il que ma première vraie mission fut d’aller chercher la robe de mariée de Suzanne chez un couturier de Hull, à une centaine de kilomètres de Maniwaki, ce qui était beaucoup demander à ma pauvre bagnole dont la mécanique était aussi précaire que la carrosserie était rouillée. J’emmenai comme passagère ma sœur Louise, dont la bravoure était légendaire. Ce que je vais maintenant vous raconter est tout à fait véridique, mais la mémoire étant ce qu’elle est près de 60 ans plus tard, il se peut que certains détails aient subi les effets de l’inflation.

La route vers Hull se fit relativement bien mais le bruit provenant des roues et des tôles de la vieille carcasse était tellement effrayant, dès qu’on frappait l’une des nombreuses anfractuosités dans la chaussée, qu’on se demandait vraiment si on allait se rendre en ville en un seul morceau. Il me semble même me souvenir d’avoir aperçu un chapelet s’égrener lentement entre les doigts de Louise (habitude héritée de ma mère qui ajustait le nombre de dizaines à la distance à parcourir).

Le retour vers Maniwaki fut, par contre, une tout autre histoire. Après être allé chercher la fameuse robe, et ensuite John, un ami de mon beau-frère qui avait demandé à revenir avec nous, on reprit bravement le chemin de l’aventure. Afin de protéger la boite contenant la robe de mariée de la poussière, on décida de la mettre dans le coffre arrière, sur le dessus du pneu de secours qui était posé à plat au fond du coffre. Erreur! Peu après Wakefield, alors que, pour impressionner mes passagers, je roulais un peu trop vite pour l’état de la route, on sauta sur une énorme bosse, ce qui eut pour effet d’ouvrir le coffre arrière, lequel ne « fermait pas juste ». Et c’est alors que, regardant dans le rétroviseur, je vis avec horreur le pneu de secours qui bondissait et la boite de la robe qui tournaillait sur la route derrière nous. Pesant de tout mon poids sur le frein, je réussis à arrêter la voiture au bord de la route une centaine de pieds plus loin et on partit à la course tous les trois pour aller chercher le pneu et surtout la boite avant qu’elle ne se fasse écraser par une voiture. Elle était évidemment très bosselée et décolorée, mais heureusement toujours bien fermée. Une fois le pneu remis en place, le coffre bien enclenché et la robe déposée sur le siège arrière, on reprit la route, les trois assis sur le banc avant.

Un peu plus loin, dans une courbe assez prononcée vers la gauche, la porte avant du côté passager, sur laquelle John était bien appuyé, le bras sur le rebord de la fenêtre ouverte, s’ouvrit soudain, entrainant John avec elle et le laissant suspendu en l’air, les pieds dans la voiture et le bras agrippé au rebord de la porte. Alors qu’il criait Whoa, Whoa, moi je donnai un brusque coup de volant vers la droite, ce qui eut pour effet de le ramener vers l’intérieur, aidé par Louise qui le tirait par la ceinture.

Arrivés sains et saufs, quoiqu’un peu sonnés, à Maniwaki, on prépara maman et Suzanne à la nouvelle qui les attendait, en leur disant bien que si le contenant de la boite ne payait pas de mine, le contenu lui-même était bien intact. Cela ne les rassura visiblement pas trop parce que leurs exclamations, quand elles virent la boite, nous firent craindre que les voisins appellent les services d’urgence Mais finalement, il y avait plus de peur que de mal et Suzanne put se marier à la date dite, non sans quelques sacrées séances de bichonnage et de repassage de la fameuse robe.

Cela dit, je me dois tout de même de mentionner un autre incident qui a ajouté un peu plus de piquant aux préparatifs du mariage. C’est que Suzanne, qui avait jusqu’alors de beaux longs cheveux noirs, décida de se les faire couper et coiffer pour l’occasion. Ma mère, qui avait prévu le coup, nous prévint que quand Suzanne reviendrait de chez le coiffeur, il fallait absolument éviter toute exclamation ou taquinerie désobligeante devant sa nouvelle parure. Mais ce ne fut vraiment pas facile parce que, alors que nous étions tous à table en train de souper, Suzanne se présenta, perplexe, à la porte de la cuisine, les cheveux coupés, crêpés, montés, gonflés et laqués au point qu’elle avait l’air de porter une version démesurée de ces chapeaux « melons » qu’on peut voir sur la tête des gentlemen britanniques. Et nous, le nez dans nos bols, on mangeait nos soupes à grandes cuillérées, n’osant pas la regarder de peur de faire voir nos états d’âme. Mais Suzanne n’était pas dupe de ce qui se passait et, brisant le silence, elle s’écria d’une voix pleurnicharde, « J’me marie pus »! Et c’est là que je lui dis avec toute la diplomatie dont je suis capable, « Ben non, ben non, c’est pas si pire! », ce qui me valut un autre, « Ah mon crapaud » de ma mère, qui réussit, avec beaucoup de tact, à convaincre ma sœur qu’après quelques ajustements, sa coiffure serait tout à fait digne du grand événement qui l’attendait. Et je dois dire que ce fut effectivement le cas, tout le monde n’ayant d’yeux, le lendemain, que pour la magnifique mariée à la robe rescapée et à la coiffure haut-perchée.



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