SCIENCE-FICTION FRANÇAISE...

 (L'article ci-dessous est le fruit d'un partenariat entre ce blog et l'organisme Slimmersion-France, un groupement d'établissements gérés par des professeurs de français et accueillant des visiteurs étrangers en France, dans le but de leur enseigner notre langue. Ces établissements sont situés un peu partout sur le territoire français, de Paris à la Provence, de la Bretagne au Pas-de-Calais, etc. Le site de l'organisme, slimmersion-france.com , attire de nombreux visiteurs chaque jour. L'organisme est en train de préparer une grande bibliothèque de ressources gratuites (vocabulaire, grammaire etc.) en ce sens. Les membres de l'organisme ont aussi un blog qui diffuse des informations éducatives sur la langue française et ses cultures, tout cela dans un esprit léger et positif, sans faire de politique dans un sens ou dans un autre. Bonne lecture!)


L'expression science-fiction française donne une drôle d'impression, un peu comme les expressions marine française ou haute-cuisine anglaise.

La France est essentiellement une puissance terrestre, comme l'Allemagne, la Russie, la Chine ou l'empire Romain, pas une puissance maritime, comme l'Angleterre, le Japon, Carthage ou l'Amérique (quoique, pour être juste, cette dernière était un peu les deux à la fois dans le passé et ne l'est plus vraiment, étant donné que le Mexique et le Canada ne posent pas vraiment de grands dangers à sa suprémacie). En tant que puissance terrestre, ses intérêts politiques et militaires portent principalement sur la terre ferme, relativement à ses voisins proches. La Marine nationale n'est pas aussi forte que la Marine américaine, en conséquence, ce qui ne surprendra personne. La Marine royale britannique, elle, était autrefois aussi prééminente que la Marine américaine mais n'est plus que l'ombre d'elle-même aujourd'hui, pour dire les choses comme elles sont, et, aujourd'hui, elle est probablement sur un pied d'égalité avec sa voisine au niveau de sa capacité à projeter des capacités offensives.

Au niveau de la science-fiction, c'est à peu près la même chose. La science-fiction d'expression français n'a jamais été aussi dynamique que sa contre-partie d'expression anglaise, en termes d'impact. La science-fiction est en réalité un phénomène culturel typiquement américain. Ses racines se trouvent dans le passé du monde occidental, parfois dans un passé très lointain, mais cet art a surtout fleuri au XXième siècle, en Amérique, et elle y est encore très forte, probablement parce que l'humanité a besoin de fantaisie et de rêves, la rationalité étant assez froide et aride. La science n'est probablement pas en mesure de tout expliquer ce qui existe. Nous ne croyons plus dans les anges et les fantômes, les fées et les géants vivant dans des caves, et, pour être honnête, quelque chose manque en conséquence dans nos sociétés. La religion organisée a toujours été handicapée par sa nature surnaturelle, mais ce n'est pas le cas de la philosophie. La spiritualité peut combler un besoin, puisqu'il est parfois nécessaire de soutenir et de consolider l'âme humaine, si souvent ébranlée et en proie aux tourments de l'âge moderne. Nous voulons (et nous avons besoin de) croire, comme l'affirme la célèbre affiche que l'on voit dans la série X-Files, accrochée à l'un des murs du bureau de Fox Mulder.

La science-fiction est une réponse à notre besoin de croire en un avenir meilleur. À mon sens, deux écrivains français se sont démarqués dans ce domaine, le premier très bien connu, le seconde presqu'entièrement inconnu, surtout dans l'univers culturel anglophone, étant donné qu'à ma connaissane, il n'a jamais été traduit. Jules Verne est connu à travers le monde entier, en tant que l'un des principaux représentants de l'anticipation scientifique. Il peut parfois être un peu dépassé, partculièrement lorsqu'il parle de voyages hors de la surface terrestre. Il a cependant écrit des oeuvres qui ont été lues (et continuent d'être lues) partout dans le monde, remplies d'événements dramatiques et d'intrigues ingénieuses.

Un thème majeur domine la plupart de ses écrits, cependant, soit la science et la technologie. Cela se retrouve un peu partout, sous bien des formes: sous-marins, navires, ballons, balles géantes tirées par un canon texan géant pour amener des gens autour de la Lune et en revenir, etc. Il est visiblement fasciné par les objets physiques, à une époque qui était elle aussi fascinée par les objets physiques, par tout ce qui était matériel. La révolution industrielle a été une époque glorieuse, mais aussi une ère troublée et difficile, marquée par des manufactures géantes, opérées par des milliers d'employés sous-payés et épuisés, des inégalités sociales, des injustices criantes, des enfants travaillant pour presque rien, des familles survivant dans la misère la plus noire. L'Angleterre, à cette époque, était le pays le plus puissant de la planète, mais c'était aussi, en même temps, l'objet des dénonciations de Charles Dickens, à l'égard de tout ce qui ne marchait pas dans la société anglaise de son temps. Un étranger brillant, Karl Marx, né à Trèves, en Allemagne occidentale, passa ses dernières années au coeur de ce qu'il voyait comme un système diabolique, à Londres, décrivant et critiquant les excès du capitalisme.

Un autre écrivain a été remarquable au niveau de la science-fiction francophone: Joseph Henri Honoré Boex (né à Bruxelles, en Belgique, en 1856, et mort à Paris, en France, en 1940). Inconnu dans l'univers anglophone, il n'est que marginalement connu dans l'univers francophone, en tant que J.-H. Rosny aîné. Ici, 'aîné' sert à le distinguer de son frère Séraphin-Justin, surnommé 'jeune'. Certaines de leurs oeuvres ont été écrites par les deux écrivains, avant 1908, mais Joseph Henri Honoré était le frère dominant, au niveau de la créativité et de la substance, et il est celui qui est habituellement crédité pour les oeuvres communes qu'ils ont produit ensemble.

J.-H. Rosny aîné a écrit plusieurs livres et, contrairement à Verne, il ne centrait pas ses préoccupations sur les objets matériels, mais sur les êtres vivants. Ses perceptions vis-à-vis l'humanité et la nature humaine, ainsi que dans la vie non-humaine, sont remarquables et méritent d'être mieux connues. Comme le belge George Simenon, le créateur de Maigret, le policier français qui constitue la réponse de l'Europe francophone aux flots grandissants de la 'littérature de flics', J.-H. Rosny aîné ne veut pas savoir comment les choses fonctionnent mais comment pense l'esprit humain, comment s'émeut le coeur humain et comment souffre l'âme humaine. Simenon voulait comprendre pourquoi les gens tues et volent, pourquoi il font ce qu'ils font et pourquoi les crimes sont commis.

Il ne s'intéressait pas aux menus détails de la vie matérielle, mais au fonctionnement et aux mystères de l'esprit humain. Maigret n'utilisait jamais ses poings (jamais, jamais, jamais, pas une fois, pas du tout), contrairement à trop de 'héros' policiers américains, mais préférait toujours user des pouvoirs de son esprit. Simenon savait qu'un bon policier n' pas à utiliser son arme, ne le souhaite pas et, de préférence, n'est jamais obligé de le faire. Comme Sherlock Holmes, il ne croit pas au pouvoir des muscles et de la forme physique, mais au pouvoir des déductions et du raisonnement, au besoin de devenir et de comprendre la vérité, à l'importance de la rédemption et aux secondes chances. Comme l'ex-président américain Bill Clinton, il peut 'percevoir la souffrance' et les tourments de ses protagonistes et il use de cette faculté pour en faire le moteur de ses écrits et de ses intrigues.

Plusieurs nouvelles de J.-H. Rosny aîné sont courtes mais poignantes. Elles laissent une impression profonde et persistante sur le lecteur. Comme Maupassant, l'auteur perçoit les choses d'une façon différente que la plupart des gens et cela se voit dans ce qu'il écrit. Les Xipéhuz, par exemple, raconte l'histoire de l'apparition d'une nouvelle forme de vie intelligente dans le passé lointain, une forme composée de créatures colorées, certaines triangulaires, d'autres rondes, d'autres encore cubiques, avec des lumières curieuses, vivant toutes dans une profonde forêt. La nouvelle explique et décrit la confrontation entre ces étranges créatures et un grand nombre de tribus humaines, réunies pour sauver la Terre pour les enfants des hommes et des femmes, jusqu'à l'extinction éventuelle des étrangers.

D'autres oeuvres sont toutes aussi intéressantes. La guerre du feu, écrit en 1909, est probablement le roman le plus connu de l'écrivain. Une première adaptation cinématographique en a été faite en 1915 et une autre en 1981, les deux en français. Ces films souffrent des limitations propres à ce médium, puisuqe les héros décrouvrent, le feu, le langage, la sexualité et bien d'autres choses encore, le tout en l'espace de quelques minutes... Bien sûr, pourquoi pas? Cela fait penser aux trop nombreux films et séries télévisées d'aujourd'hui, dans lesquels les héros sauvent la civilisation, l'humanité, la tarte aux pommes, la Terre et les États-Unis d'Amérique en 45 minutes seulement, top chrono, c'est-à-dire en une heure moins le temps des publicités. Ce genre d'oeuvres, il est vrai, sont faites pour un public adolescent, pas un public adulte.

La meilleure nouvelle de J.-H. Rosny aîné est peut-être Les navigateurs de l'infini. Il s'agit d'une oeuvre magnifique, écrite en 1925, dans laquelle les trois héros, trois jeunes Français se rendant sur la Lune d'une façon qui n'est pas précisée, trouvent une civilisation de créatures étranges et évanescentes, dont l'existence est basée sur le nombre trois: trois jambes, trois yeux, trois brs, trois oreilles, trois nez, etc. Ils se reproduisent aussi en trios, d'une manière que l'auteur, bien sûr, laisse décemment dans l'obscurité, mais qui nécessite essentiellement trois sexes, soit un sexe masculin, un sexe féminin et un sexe dont la nature exacte n'est pas précisée. Un des Français tombe en amour avec une étrangère féminine et les deux choisissent de vivre ensemble, même s'ils ne peuvent pas avoir d'enfants et même si leur amour doit rester non-consommé, tel un repas que l'on ne mange pas: un mariage blanc. C'est l'image même de l'amour pur, asexuel mais réel. L'équivalent le plus proche, dans le monde humain, pourrait être l'amour résiduel entre anciens amants, un peu comme des gens divorcés qui sont encore attachés l'un à l'autre mais ne forment plus un couple comme tel.

Pour un vieil homme comme moi, s'approchant année après année de sa fin, la nouvelle la plus intéressante de J.-H. Rosny aîné demeure La mort de la Terre. Elle a été écrite à l'époque où l'auteur était encore relativement jeune, en 1910. Cela raconte l'histoire des derniers humains, coincés sur une Terre où une nouvelle forme de vie a pris l'ascendant, les ferro-magnéteux. Essentiellement, il s'agit d'une forme de vie métallqiue, animée par une force magétique. Elle est mortelle pour les humains, l'essence des hommes et des femmes étant attirée par elle, lorsqu'elle est trop proche, ne laissant que des coquilles vides.

L'humanité vit en colonies isolées les unes des autres, sur toute la planète. Ces colonies disparaissent l'une après l'autre, lentement, d'une façon inexorable, un peu comme les dernières cités humaines du roman (et du film) On the Beach, de Nevil Shute Norway. Dans cette oeuvre, un front de radiation nucléaire se déplace vers le sud, éteignant les derniers lambeaux de l'humanité, d'une façon qui ne peut être arrêtée. Dans la nouvelle de J.-H. Rosny aîné, la fin est simplement l'aboutissement d'un long processus d'épuisement, la fin de l'impétus, la fin de l'impulsion, la fin d'une longue érosion, comme lorsque le vent finit par ronger un rocher, après une série non-définie de millénaires. Toutes les connaissances et les pouvoirs du monde humain restent impuissantes à empêcher l'avance redoutable des ferro-magnéteux, progressant à la façon des glaciers, lentement mais sûrement, comme un cancer dévorant quelqu'un de l'intérieur...

À la toute fin, les derniers représentants de la dernière colonie se rendent finalement à l'inévitable et laissent leur essence, leur vie, être avalée et absorbée par la nouvelle forme dominante de vie, joignant leurs âmes aux âmes des nouveaux maîtres de la planète. C'est une nouvelle triste et poignante, touchante et troublante à la fois, comme des funérailles, mais aussi joyeuse d'une certaine façon, puisque c'est aussi une renaissance, un nouveau départ, la vie continuant sous une nouvelle forme, une forme plus apte à poursuivre ses transformations, l'évolution se choisissant un nouveau champion, plus capable de transmettre la flamme de l'existence consciente. Longue vie aux ferro-magnéteux...

Ce qui importe, ce ne sont pas les choses et la technologie, mais les gens. Ce qui importe, ce n'est pas Verne, mais Rosny. Ce qui importe, ce n'est la vie ancienne, mais la vie moderne. Ce qui importe, ce n'est pas la science et la technologie, mais la politique et la biologie. Ce qui importe, ce ne sont pas les pays, qu'il soit existant (Canada) ou à créer (Québec), mais les sociétés humaines, des êtres collectifs vivants, se transformant et évoluant tout le temps, d'une façon ou d'une autre. Les structures politiuqes sont fabriquées, construites d'une façon artificielle, au cours d'une période de temps longue ou courte, mais elles ne comptent pas réellement, parce que les êrtes vivants naissent, vivent et se reproduisent, génération après génération, comme des vagues se brisant sur la côte. Dans une société, n'importe quelle société, qu'elle soit énorme (Han / Chine) ou minuscule (Fon / Bénin), les plus vieux (les adultes) doivent aider les plus jeunes (leurs enfants) à trouver leur propre place dans la vie, puis ils doivent se résigner à disparaître et mourir lentement, laissant la planète à ceux qui continueront de l'habiter. La vie doit continuer, d'une façon ou d'une autre. Après Louis XIII, arrive Louis XIV, le Très-Puissant Roi-Soleil en personne.

Le roi est mort, vive le roi.



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