UNE GUERRE TROP TARD

L'avenir des forces militaires sous-marines pourrait nous surprendre.


C'est bien connu: les généraux sont toujours en retard d'une guerre. Ils ont trop bien analysé les raisons expliquant la défaite ou la victoire survenue 'la fois avant'. Ils sont donc tout à fait disposés à appliquer les mesures qui empêcheront la répétition du désastre de 'la fois avant', quand ce n'est pas celles destinées à assurer justement la répétition du succès enregistré 'la fois avant'.

D'une manière ou d'une autre, les généraux sont comme tous les humains, soit faillibles, et plusieurs évaluent mal les changements apportes par les découvertes scientifiques, les progrès technologiques, les alliances changeantes, les conditions sociales différentes, etc. Ils sont donc parfois mal équipés pour déterminer la meilleure façon de se préparer à un conflit.

Le plus bel exemple relativement récent, c'est la France avant l'effondrement de 1940. Sortie exsangue et affaiblie de la Grande guerre (rebaptisée Première guerre mondiale après 1945), la République française n'avait aucune envie de se retrouver dans un conflit majeur, impliquant des millions de blessés et de tués, ainsi que des destructions sans nombre, comme cela avait été le cas en 1914-1918. Une attitude défensive était préconisée et préférée, tant par le milieu politique que par le milieu militaire, menant à la construction d'une ligne fortifiée face à la frontière allemande, la fameuse ligne Maginot, une oeuvre colossale qui a coûté une fortune et n'a pas servi à grand-chose, les Allemands ayant adopté une stratégie habile visant à séparer la Belgique et les Pays-Bas de la France, par un grand coup de faucille, du Rhin vers la Manche. Au niveau de l'équipement militaire, les Français n'avaient pas tiré les leçons de la Grande guerre et ne misaient pas sur la mobilité, la mécanisation et la puissance de feu. L'utilisation des chars, en particulier, était grandement déficiente, à cause d'un nombre trop peu élevé de ces engins, de leur trop grand éparpillement et d'un manque de coordination avec l'aviation.

Il faut dire que la Première guerre mondiale avait été le théâtre de la toute première utilisation à grande échelle de moyens militaires révolutionnaires, comme les avions de combat, les sous-marins ou les chars d'assaut. Une génération plus tard, la Deuxième guerre mondiale avait aussi donné lieu à de grands changements à ce niveau, avec l'apparition du radar, la généralisation des porte-avions, etc. Ici, aussi, certains généraux (ou amiraux) étaient en retard d'une guerre, n'ayant pas compris, entre autres, que les navires emportant une force aérienne embarquée avaient des avantages énormes sur les navires équipés de simples canons conventionnels et que les porte-avions étaient appelés à remplacer les cuirassés en tant que capital ships, pour employer un terme utilisés par les anglophones pour désigner les navires principaux d'une flotte. Après 1945, le nombre de porte-avions deviendra donc l'étalon habituel pour mesurer la force navale des pays du monde.

Une flotte navale typique, de nos jours, ce n'est plus une escadre regroupant un certain nombre de cuirassés, entourés de navires d'escorte plus petits, mais une task-force composée généralement d'un porte-avion, des forces aériennes embarquées sur celui-ci, de deux ou trois navires d'escorte et, bien souvent, d'un sous-marin d'appoint. Cette flotte est donc équipée pour combattre dans un espace à trois dimensions, sur les flots, mais aussi en-dessous et au-dessus de la surface de la mer, avec des moyens aériens, marins et sous-marins, en tant que formation de combat polyvalente, bardée  de canons, mais aussi de torpilles, de missiles, de drones robotisés, d'avions, d'hélicoptères, etc.

Les États-Unis, avec une flotte comptant onze porte-avions, sont la principale puissance navale du monde, présentement. D'autres puissances disposent aussi de moyens considérables au plan naval, mais elles se retrouvent au second plan: le Royaume-Uni, la France, la Russie, la Chine, l'Italie, l'Espagne, etc. La Chine, entre autres, c'est bien connu, veut se donner des moyens conséquents avec sa nouvelle puissance économique et politique et multiplie les investissements à ce niveau, ayant bientôt trois porte-avions et un nombre total de navires qui est en croissance et qui, en nombre mais pas en puissance brute, dépasse maintenant celle des Américains.

Tout cela demande des budgets considérables. Il suffit de considérer qu'à raison d'environ 5 000 marins par porte-avion, la flotte américaine mobilise 55 000 marins pour ses onze porte-avions, avec la masse salariale annuelle que cela implique, sans parler des coûts de construction et d'entretien annuel de ces bâtiments très complexes. Imaginez un peu: depuis 1945, les U.S.A. ont été impliqués dans divers conflits, mais ils n'ont jamais eu à utiliser l'ensemble de leur flotte de porte-avions, ce qui signifie tout simplement qu'ils ont dépensé une somme folle pour assumer les salaires de dizaines de milliesrs de marins, ainsi que pour construire, armer et entretenir ces bâtiments, sans oublier les navires d'escorte, ainsi que les avions et les hélicoptères qui sont embarqués, et tout cela, essentiellement, pour rien, puisqu'ils n'ont pas eu à s'en servir dans un conflit à grande échelle... Cela donne le vertige.

Le pire, toutefois, c'est que les porte-avions sont en fait de plus en plus obsolètes et inutiles, pour une excellente raison: les satellites et leur capacité de localiser et de suivre à la trace les navires naviguant à la surface des océans. Les porte-avions sont devenus ce qu'étaient les cuirassés avant la Deuxième guerre mondiale, une arme dépassée et de plus en plus vulnérable, à cause des changements technologiques, notamment le développement des moyens d'observation à partir de l'espace. Il n'y a pas que les satellites, toutefois, qui menacent les porte-avions, il y a aussi les missiles, dont plusieurs sont capables de couler d'un coup un gros navire, même un navire aussi gigantesque qu'un porte-avion.

Ce n'est pas pour rien que la nouvelle alliance entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, les trois membres les plus belliqueux de l'Anglosphère, portait surtout sur la fourniture de neuf sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire. La fameuse AUKUS a été formée lorsque les Américains se sont aperçus que la très improvisée Quad, avec les Américains et les Britanniques, mais aussi les Indiens et les Japonais, ne pouvait sérieusement tenir tête à la Chine, tout simplement parce que le Japon et l'Inde n'ont pas de raisons majeures de vouloir affronter leur très puissant voisin. Ces deux pays sont associés de longue date avec l'Anglosphère, le premier ayant été conquis par les Américains en 1945, le second ayant longtemps été la perlet de l'empire colonial des Britanniques, mais ils semblent avoir choisi une attitude attentiste, ménageant la chèvre et le chou, d'où le besoin de créer l'alliance AUKUS, un sous-groupe de l'Anglosphère (dont les deux autres membres sont le Canada et la Nouvelle-Zélande).

Les sous-marins d'attaque, surtout ceux à propulsion nucléaire, ont bien des avantages, comparativement aux porte-avions. Ils naviguent sous la surface des mers, d'abord, ce qui augmente beaucoup leur invisibilité et leur survivabilité. Ils disposent aussi d'une gamme grandissante d'armes offensives: torpilles, drones automatisés, missiles de croisière, etc. La propulsion nucléaire permet aussi d'augmenter le temps passé en zone de crise ou de combat.

Une anecdote survenue récemment est possiblement pertinente au présent propos. Le sous-marin américain qui, en mer de Chine méridionale, a frappé quelque chose en naviguant sous la surface, supposément un sommet immergé ayant fracassé une partie de l'avant du bâtiment, a très possiblement été heurté par un drone chinois qui le suivait et l'observait, qu'il s'agisse d'un engin déjà opérationnel ou en développement. Un drone de ce genre n'a même pas à être bardé d'explosifs pour être utile, une vélocité suffisamment grande suffiisant à en faire une arme redoutable en cas d'impact volontaire. Il peut aussi être équipé de sonars ou de caméras, lui permettant ainsi, le cas échéant, de repérer et de suivre à la trace les sous-marins ennemis.

L'avenir des forces navales, ce n'est pas les task forces actuelles, centrées sur un ou des porte-avions, beaucoup trop visibles et exposées. C'est l'arme sous-marine. Les sous-marins sont appelés à devenir l'arme centrale des flottes modernes. Il est possible d'imaginer, d'ores et déjà, des sous-marins de taille plus grande que ceux qui existent présentement, bien plus grande encore que les sous-marins russes de la classe Typhoon, avec une propulsion nucléaire et toute une série d'armes et de moyens d'action, travaillant seul ou en escadre, dominant les mers comme l'ont fait les porte-avions jusqu'à maintenant, capables d'atteindre des cibles, sur l'eau, sous l'eau ou au-dessus de l'eau, hors de vue mais toujours à l'affût, prêts à frapper.

À ce propos, il peut être intéressant de noter que la Chine vient de se doter d'une toute nouvelle base de sous-marins sur l'île d'Hainan, en mer de Chine méridionale, et que la Russie, un de ses plus proches alliés, s'apprête à faire de même sur la péninsule du Kamtchatka, dans le Pacifique nord, avec une installation flambant neuve destinée à de nouveaux sous-marins stratégiques. Pourtant, la Fédération russe comptait déjà une base sous-marine classique, exactement dans le même secteur, aux abords de la principale ville de la péninsule, Petropavlovsk-Kamtchatsky.

Si la rivalité entre les pays de l'Anglosphère et la Chine se transforme un jour en conflit déclaré et ouvert, il est très possible qu'il commence par des affrontements entre porte-avions. Il est aussi très possible qu'après un certain temps (ou après un  intervalle de paix plus ou moins long), un tel affrontement se termine au profit de celui qui aura eu les capacités matérielles et logistiques de construire et lancer une série de super-sous-marins d'attaque nucléaire de très grande capacité.

Ces bâtiments seront alors les nouveaux maîtres des mers océanes...

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