LES COLLINES DE SAVÈ

 


Les collines de Savé constituent une attraction touristique en développement, dans cette petite ville d'environ 20 000 habitants, située dans la moitié sud du Bénin. On y accède par la route nationale qui relie la côte de l'Atlantique, à partir d'un point sis juste à l'ouest de la capitale économique du pays, Cotonou, aux rives du fleuve Niger, lequel irrigue tout l'ouest de l'Afrique, des montagnes de la Guinée à son embouchure en forme classique de delta, tout au sud du Nigéria. Cette ville, visitée en 1997, était la capitale d'un tout petit royaume qui, avant la colonisation française, abritait la tribu de mon ex-épouse.

Ce royaume correspond aujourd'hui à une minuscule nation qui compte aujourd'hui près de 90 000 représentants, tous de langue nagote. Cette langue est parlée par une portion relativement importante des Béninois, surtout au sud-est du Bénin, près du Nigéria, et au centre du pays, le long d'une ceinture rejoignant le Togo à l'ouest. Le nagot dérive du yoruba, une langue importante parlée par des dizaines de millions de Nigérians, dans le sud-ouest de ce pays souvent surnommé la Chine africaine, à cause de sa population remarquablement nombreuse (appelée à encore tripler dans les prochaines décades).

Il est important de noter que le Bénin compte de 40 à 44 langues différentes. La plus parlée, le fon, ne compte que pour moins d'un cinquième de la population.

Savé joue un peu le rôle de centre commercial et de services qui dessert les villages des alentours. Les Béninois sont surtout soit des agriculteurs, dans la partie sud du pays, soit des éleveurs musulmans, dans la partie nord, c'est-à-dire le Borgou, une région où je n'ai pas eu la chance d'aller mais qui, apparemment, rappelle le Sahel.

J'ai visité la ville de Savé lors de mon premier passage au Bénin, en 1997. Nous sommes montés à Savé en voiture, , avec mon ex-femme, son frère jumeau, Pascal, une de ses soeurs, Éléonore, et leur oncle à tous, Martin (surnommé évidemment 'tonton Martin'). Nous sommes passés par Allada, ancienne capitale d'un ancien royaume, puis nous avons arrêté à ce qui était la capitale du royaume du Dahomey (Abomey). On y trouve un complexe unique en Afrique de l'ouest, avec les ruines des nombreux pavillons formant le palais des rois.

Arrivés à Savé, moi et Pascal, avec des amis, nous avons grimpé jusqu'en haut de l'une des collines. Ils m'ont alors expliqué que la ville s'est développée à l'ombre de ces collines, éléments défensifs importants, d'où les habitants qui s'y réfugiaient pouvaient faire débouler de grosses roches sur tous eux qui osaient les assaillir. Nous nous sommes promenés ensuite dans les rues de terre battue et dans les sentiers qui sillonnent les environs de la ville. J'y ai vu des gens simples et heureux, équilibrés, vivant avec peu, en harmonie avec la nature.

À un moment donné, un des habitants, parent de la famille, m'a demandé en souriant: ''Te souviendras-tu de moi?'' Eh bien, oui, encore maintenant, je me souviens de lui et je ne l'ai pas oublié. Je me souviens même de la chemise qu'il portait ce jour-là. En errant dans les boisés environnant la petite ville, toujours avec des membres de la famille, j'ai vu une jeune femme d'une grande beauté qui s'est avancée à la porte de sa cabane, un peu surélevée par rapport au sol, en nous entendant arriver. Elle était sur le seuil de sa simple demeure quand nous sommes passés devant et, en la regardant, je n'ai pas pu m'empêcher de me dire, intérieurement, quelque chose comme: ''Cet instant restera gravé en ma mémoire jusqu'à ma mort''. De fait, presqu'un quart de siècle plus tard, je revois encore très bien le visage de cette jeune personne, du moins jusqu'ici.

Peu de temps plus tard, j'ai accompagné tonton Martin qui voulait se procurer des ignames de bonne qualité dans un tout petit hameau, de quelques centaines d'habitants, que nous avions croisé en venant, quelques kilomètres à l'ouest de Savè, du nom de Gobé. Il se trouve du côté sud de la route menant à Savè. Curieusement, juste de l'autre côté, au nord, se trouve un autre hameau, nommé Atchakpa. Le nom de famille de la mère de mon ex-femme est justement Atchakpa et je soupçonne que sa famille d'origine provient de ce hameau-là.

Il faut se méfier de la façon dont les noms africains sont transcrits. Les consonnes KP ou GB sont presqu'imprononçables pour des bouches habituées aux sons indo-européens. Cela fait penser à la consonne MB en Hindi, très proche et du M et du B anglais et facilement interchangeables. Dans la même veine, le mot 'Savè' est la façon dont les oreilles des Français de France entendaient la prononciation du vrai nom, le nom d'origine, soit Tchabé. Les Tachabés disaient Tchabé et les Français entendaient Savè. Les Tchabé, les Nagots et, en général, les Yorubas parlent des idiomes très proches, faisant tous partie de la grande famille yorubaphone. Le mot 'Nagots' est simplement la désignation que les Français donnaient aux divers groupes yorubaphones vivant au Bénin et au Togo. Les Tchabés sont des Nagots qui vivent à l'extrême-nord de l'aire linguistique yorubaphone en Afrique francophone.

Comme les Tchabés, à l'époque, étaient pour la plupart illetrés, la façon dont les Blancs écrivaient leur nom n'avait aucune importance. Le nom du village de Savè est donc resté tel quel sur les documents écrits, dont les cartes, jusqu'à aujourd'hui. De même, le qualificatif de village est demeuré, puisque le lieu-dit n'est que récemment devenu une petite ville. Pour donner une idée de la croissance démographique du Bénin, Cotonou, une ville d'un demi-million d'habitants environ, n'en avait que 70 000 en 1968. Un autre siècle plus tôt, elle n'avait que quelques dizaines ou centaines de résidents, pêcheurs. C'est en devenant un poste secondaire de traite des esclaves qu'elle a commencé à prendre son essor.

Toujours pour discuter du nom des gens et des lieux, les noms Africains, en Afrique francophone, sont généralement composés de deux éléments, un prénom chrétien et un nom de famille africain. Avant l'arrivée des Européens, les Africains n'avaient généralement qu'un seul nom/son, transmis de père en fils ou de mère en fille. Cela fait penser aux Algonquins qui portaient parfois le même nom de père en fils, comme ce Tessouat qui était chef d'une bande algonquine sur l'île Morrison, juste au sud de l'île aux Allumettes, sur la grande rivière des Outaouais, celle qui reliait l'archipel montréalais aux Grands lacs nord-américains, notamment le lac Huron (c'est-à-dire le lac de la tribu des Hurons), celui où vivait, plus précisément sur l'île Manitoulin, la tribu connue par les Français sous le nom/son d'Outaouais (à en croire les oreilles françaises), puis sous le nom/son d'Ottawas (à en croire les oreilles anglaises lorsqu'elles entendaient les langues françaises prononcer leur version du vrai nom/son d'origine).

J'ai été laissé seul pendant une demi-heure et j'en ai profité pour me mêler aux villageois, peu habitués de voir des Blancs, dans une aussi petite localité, et admirer leurs résidences, très dépouillées, et leurs champs d'ignames, genre de tubercules faisant vaguement penser à des branches d'arbres enterrées, cultivées sur de petites buttes. Tout comme dans les villages algonquins, il y avait des enfants courant un peu partout, excités par le curieux bonhomme qui avait l'air d'être échoué là comme une grosse baleine sur le bord d'une mer.

Par la suite, nous avons passé la nuit dans une nouvelle maison, récemment érigée par la famille en ce lieu d'où elle est originaire. Pascal avait, auparavant, abattu un travail énorme en lavant tout le plancher à la main. Cette maison d'un étage, genre bungalow, était située à quelques mètres de l'ancienne résidence familiale, faite de terre séchée et toute poussiéreuse, évocatrice de l'habitat originel des habitants de ce coin de pays.

Il faut dire que les Africains, surtout en campagne, ne vivent pas réellement dans leur résidence, du moins comme nous le faisons habituellement au Canada, mais préfèrent s'en servir de façon occasionnelle, surtout pour échapper à la pluie, entreposer des aliments, mettre leurs quelques meubles à l'abri, dormir (pas toujours, à cause de la poussière) et manger. Le reste du temps, ils vivent dehors. La mère de mon ex-épouse, comme beaucoup d'Africains, préfère encore faire la cuisine à l'extérieur, en plein air, à la façon traditionnelle, assez normale et naturelle pour un pays tropical où le climat est généralement plutôt doux, avec des saisons qui se résument ainsi: saison sèche ou saison des pluies (deux de chaque dans l'année, dans le cas du Bénin).

Nous sommes revenus à Cotonou le lendemain, en redescendant la route nationale, fatigués mais heureux de cette courte expédition vers l'intérieur béninois. Voir Savé, c'est découvrir l'Afrique profonde, encore très peu visitée, authentique, magique et inoubliable.



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