LES DEUX PEUPLES FONDATEURS, UN MYTHE À ADAPTER...
Dans l'univers intellectuel franco-canadien, la théorie des deux peuples fondateurs a pris une place centrale, qu'il convient aujourd'hui de revisiter et de réévaluer.
Le Canada actuel serait ainsi le produit de deux peuples, les Franco-Canadiens et les Anglo-Canadiens. Leur histoire entremêlée sur ce coin de continent aurait conduit à la création d'un pays bicéphale, bilingue et binational, un centré sur le Canada francophone, avec Québec comme capitale symbolique, un centré sur le Canada anglophone, avec Toronto comme capitale symbolique. Le pays canadien comme tel, en tant que structure politique, ne serait donc que l'amalgame des deux entités, avec Ottawa comme capitale symbolique (et réelle).
Comme toute formule synthétisant une réelle humaine complexe, celle-ci est incomplète et explique mal de grands pans de l'histoire canadienne. Par exemple, il n'y a pas présentement deux peuples vivant sur le territoire canadien, mais plusieurs dizaines, la très grande majorité d'entre eux étant constituée de nations autochtones relativement peu nombreuses, venues s'installer ici il y a des milliers d'années, bien avant l'arrivée des Européens. Il faut aussi tenir compte de peuples qui ont été engendrés par la rencontre des pré-Européens et des Européens, comme les Métis de l'Ouest, qu'ils soient d'expression française ou (c'est moins connu) d'expression anglaise.
Qui plus est, les deux 'peuples fondateurs' sont aussi de taille et d'impact inégal. Les francophones sont arrivés ici avant les Britanniques et ont longtemps été plus nombreux qu'eux, même après la Conquête de 1759. Il a fallu au gouvernement impérial plusieurs décennies d'efforts pour tenir en respect la majorité francophone, gagner du temps et changer peu à peu la réalité démographique en générant de toutes pièces une nouvelle majorité, d'expression anglaise celle-là, en ouvrant grands les portes à'une immigration massive en provenance des îles britanniques. Ce n'est que lorsque les anglophones sont devenus majoritaires qu'ils ont pu se permettre de créer la confédération de 1867, soit la mise sur pied d'une colonie de grande taille sur tout le nord du continent, une colonie encore dépendante du pouvoir impérial britannique (malgré la mythologie canadienne actuelle, il ne s'agissait pas, alors, d'un pays indépendant comme tel), dans laquelle les francophones ne comptaient plus que pour peu de choses et n'avaient plus qu'une influence diminuée, collectivement parlant, ne formant plus qu'une minorité appelée à devenir de moins en moins importante.
Il faut noter, incidemment et paradoxalement, que cette période a ouvert la voie à un certain partage du pouvoir, très relatif, par le jeu des partis politiques, entre francophones et anglophones. En effet, l'apparition de premiers ministre canadiens d'origine canadienne-française, a débuté à cette époque, avec l'élection de Wilfrid Laurier en 1896. Cela s'expliquait par la tendance des Canadiens français de voter en bloc pour un parti ou pour un autre (habituellement les Libéraux, du moins au début), facilitant ainsi l'élection occasionnelle d'un des leurs aux plus hautes fonctions de l'État canadien. Il faut cependant s'attendre à ce que cette période soit en train de se refermer, étant donné la baisse démographique continue du nombre de Franco-Canadiens au sein de la population canadienne. Les chances d'un Canadien français de devenir premier ministre ne peuvent ainsi que s'amenuiser d'autant, progressivement, au fil des années (dans ce domaine, n'oublions pas que le premier ministre actuel est un Canadien anglais, malgré les apparences -souvent trompeuses- et malgré un patronyme qui sonne français, étant donné que sa langue maternelle est l'anglais).
La tendance des immigrants arrivant au Canada d'adopter la langue de la majorité accélère la minorisation du français sur le territoire canadien. En pratique, il y a au Canada deux phénomènes sociologiques de 'melting pot' à l'américaine, un qui fonctionne très bien (hors du Québec, au profit de l'anglais) et un qui fonctionne moins bien (au Québec, au profit du français). Cela donne des résultats qui sont loin d'être symétriques et qui avantagent l'anglais à long terme.
Tout ce qui précède démontre bien que la théorie des deux peuples fondateurs, supposément égaux entre eux, que ce soit en droit ou, pour le moins, au niveau symbolique, bat de l'aile. Il faut bien comprendre que cela ne va pas aller en s'améliorant mais en se détériorant.
En fait, si l'on tient compte que les francophones canadiens passeront tôt ou tard sous la barre des 20 % de la population canadienne, il faut commencer à changer sa façon de se percevoir. Pour le dire autrement, nous ne sommes pas l'un des deux peuples fondateurs du Canada, nous comptons en réalité parmi les toutes premières nations ayant occupé ce territoire, aux côtés des autochtones. Nous faisons partie en conséquence des Premières nations, dont nous sommes simplement la plus nombreuse portion et, par le fait même, la portion la mieux organisée.
Nous ne sommes pas l'un des deux piliers du Canada actuel, de souche européenne. Ce Canada actuel, à cause de l'arrivée grandissante des Néo-Canadiens et des Néo-Québécois, est de moins en moins européen et de plus en plus mélangé au plan ethnique, que ce soit hors du Québec ou au sein du Québec. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose et c'est très bien ainsi. Il va y avoir deux mélanges qui vont se faire, sous la forme de 'melting pots', un au Canada anglais, avec une population dont la langue d'usage sera de plus en plus l'anglais, et un au Canada français, avec une population dont la langue d'usage sera de plus en plus le français.
La nouvelle réalité démographique, présentement en émergence, va amener, tout probablement, un besoin de redéfinition du système politique canadien, autour d'une réforme complète, en profondeur, avec l'élimination du lien monarchique, la création d'une république canadienne, la création (en parallèle) d'une république autonome québécoise et un partage des pouvoirs différent au sein des différents éléments qui constituent ce pays improbable.
Qui aurait intérêt à promouvoir une telle réforme? On peut avancer que ce sera les francophones (les Franco-Canadiens), bien sûr, mais aussi les autochtones (les Pré-Canadiens), une bonne partie des immigrants (les Néo-Canadiens) et la partie éclairée de la majorité actuelle de la population (les Anglo-Canadiens). Une coalition entre ces groupes sera à construire pour mener à bien un tel projet pouvant s'étaler sur des années.
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