QUESTIONS SUR L'HISTOIRE ET LA CULTURE DES ALGONQUINS DE KZA

 

Monument funéraire de Luc Antoine Pakinawatik, second chef de la bande à Deux-Montagnes, puis premier chef à Maniwaki, mort en 1874. Ses restes se trouvent au cimetière numéro 1 de Maniwaki, tout au sud de la rue Comeau, près d'une double rangée de tombes des pères Oblats qui officièrent en Haute-Gatineau à la même époque.



Natif de Maniwaki, je me suis toujours beaucoup questionné sur l'histoire, la langue et la culture de la communauté algonquine de Kitigan-Zibi Anishinabeg (KZA), localisée juste à l'entrée sud de cette ville. Cette bande vit dans la région de l'Outaouais depuis des milliers d'années, bien avant l'arrivée des Européens, dont la présence ici ne se compte qu'en centaines d'années, et a développé au fil du temps une culture très particulière, à l'instar des autres bandes algonquines qui vivent dans l'ouest du Québec et l'est de l'Ontario.

Il y a quelques semaines, afin d'en apprendre davantage sur ces aspects de la vie des Algonquins de la bande, j'ai contacté la directrice du centre culturel de la communauté, Mme Anita Tenasco, et une date de rencontre a été choisie. Malheureusement, Mme Tenasco a dû décliner de participer à cette rencontre et je lui ai adressé un résumé des points que j'aurais aimé aborder avec elle. Voici ces points, ci-bas, explicités dans un courriel envoyé le 25 février 2022. J'espère qu'il sera possible, un jour, de mettre un éclairage sur ces aspects de l'histoire outaouaise.


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Bonjour Mme Tenasco,


J'espère que vous allez bien. Je regrette qu'il n'ait pas été possible de se voir l'autre fois, mais je comprends vos raisons et je les respecte, bien sûr.

Je me posais quelques questions sur l'histoire de l'Outaouais et je ne sais pas si vous pouvez m'éclairer sur certains chapitres. Votre aide serait grandement appréciée, croyez-le bien.

1. Il y a, dans le Pontiac, un hameau nommé Nikabeau, juste au nord de l'île des Allumettes. Sur certaines cartes, il est inscrit: sous le nom de Nikabong. Le son 'bong' me fait beaucoup penser à la sonorité de certains mots algonquins liés à l'eau, tels Cabonga, ou Baskatong, voire peut-être même Maskinongé, quoiqu'avec un G moins dur. Il y a des Canadiens français métissés qui vivent à Fort-Coulonge, non loin, et je me demandais si ce hameau n'aurait pas été fondé ou habité par des descendants des Algonquins qui vivaient au sud de l'île des Alumettes, sur l'île présentement nommée 'Morrison'. Une bande y a vécu longtemps, dirigée par des chefs se nommant Yroquet de père en fils. Est-ce que cela vous dit quelque chose, vous qui, comme beaucoup d'Algonquines, êtes imprégnée de la mémoire collective (ou mémoire ancestrale) de la bande de Kitigan-Zibi (appelée River Desert, autrefois)?

2. Dans le vieux cimetière de Maniwaki, là où se trouve les tombes des Oblats et le monument funéraire dédié au chef Pakinawatik, on peut lire, sur la pierre, que ce chef se prénommait Luc Antoine et qu'il était le 2e chef de la bande lorsqu'elle habitait au lac des Deux-Montagnes, près de Montréal, puis le 1er chef lorsque la bande est arrivée à son nouvel emplacement, à Kitigan-Zibi Anishinabeg, au sud de Maniwaki. Cela me fait surgir plusieurs questions: quelles étaient leurs relations avec les Iroquois qui vivaient sur le même site, près de Montréal, ceux-ci sont-ils les ancêtres des Mowhaks d'Oka?, qui était le premier chef à Deux-Montagnes et, donc, le dernier à avoir une telle fonction à cet endroit?, le prénom Antoine indique-t-il que la langue française était alors plus commune auprès des Algonquins que l'anglais d'aujourd'hui?

3. Quand la bande est arrivée dans le secteur de Maniwaki, il y avait deux villages blancs, Rivière-Désert (pont de la 105) et Maniwaki (autour de l'église de l'Assomption). Le choix du nom River-Desert vient-il, tout simplement, du fait que le premier emplacement était sur le chemin reliant Rivière-Désert à Hull, la future route 105?

4. Dans l'ancien village de Baskatong, aujourd'hui englouti sous les eaux du réservoir du même nom, se trouvait une communauté métissée d'Algonquins et de Canadiens français. Une partie s'est relocalisée à Kitigan-Zibi et une autre, à Lac-Barrière (Lac-Rapide). J'ai un peu l'impression qu'il s'agissait d'une bande et que les premiers colons blancs ont choisi cet endroit justement parce qu'ils s'y trouvaient déjà des gens, des Algonquins, formant une petite bande. D'où venait cette bande? Se peut-il qu'elle provenait de la Petite-Nation (secteur de Saint-Andrè-Avellin), voire du secteur de la rivière South Nation, en Ontario, de l'autre côté de la rivière des Outaouais?

5. D'une façon plus générale, où vivait autrefois la bande de Kitigan-Zibi? Était-ce bien au confluent des rivières Gatineau et du Désert? Comment se fait-il que les premiers explorateurs français n'aient jamais (à notre connaissance, évidemment) mentionné de bande à cet endroit précis? Il est vrai qu'ils connaissaient mieux les bandes situées le long de la rivière des Outaouais, voie de passage entre Montréal et les Grands lacs, que les bandes situées 'dans les terres', c'est-à-dire plus en amont des rivières, profondément dans les hauteurs du territoire. Je ne sais pas combien de temps ont vécu les membres de la bande de Kitigan-Zibi près de Montréal, mais le laps de temps aurait-il pu être suffisamment long pour que soit dilué le souvenir collectif qu'ils en avaient?

Je sais que ce sont beaucoup de questions et je ne veux surtout pas vous embêter. C'était là les sujets que je voulais aborder avec vous. J'aurais aussi aimé connaître le sens de certains mots algonquins. J'ai déjà vu une grammaire de cette langue, en français, dans ma jeunesse, et je n'en ai pas retenu grand-chose, vu que je connaissais peu les questions linguistiques. Je ne connais qu'une dizaine ou dizaine de mots en algonquin, tout au plus, alors que c'est la plus ancienne des langues du territoire outaouais.

Voilà, j'ai terminé ce long message et veuillez accepter, Mme Tenasco, mes meilleurs sentiments et mon souhait de pouvoir, un jour, discuter de tout cela. Si vous pouviez me répondre par écrit, ce serait bien aussi. C'est comme vous voulez.

CM

Charles Millar


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Le même monument funéraire, vu de plus près. Le texte qui apparait en français sur un côté est aussi reproduit en anglais et en algonquin sur deux des trois autres faces de ce monument de pierre.


Bassin hydrographique de la rivière des Outaouais, de sa source à l'archipel montréalais. On voit très bien l'affluent de la rivière Gatineau, arrivant du nord et se jetant dans l'Outaouais à Gatineau/Ottawa. Au début du XIXe siècle, les Algonquins de KZA ont quitté la réserve des Deux-Montagnes, près de Montréal, remonté l'Outaouais jusqu'à la rivière Gatineau, puis remonté celle-ci jusqu'à son confluent avec la rivière Désert. Maniwaki consistait alors en deux hameaux encore non reliés entre eux, A) un premier hameau (du nom de Maniwaki) autour de l'église de l'Assomption (à l'est), directement sur le chemin menant au petit traversier en bois qui permettait de franchir la rivière Gatineau pour accéder aux paroisses du nord-est de la Haute-Gatineau, et B) un deuxième hameau (du nom de Rivière-Désert) autour du traversier qui, à l'ouest, permettait de franchir la rivière Désert pour aller dans les paroisses du nord-ouest de la Haute-Gatineau. La bande venue des Deux-Montagnes s'installa dans une nouvelle réserve, un peu en amont sur la Désert, et pris le nom de River Desert Band, avant de se rebaptiser des décennies plus tard et de devenir la bande de Kitigan-Zibi Anishinabeg (KZA).

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