L'AFRIQUE BRICSIENNE
Le monde bricsien actuel, tel qu'annoncé lors de la rencontre de Johannesbourg de l'an
dernier. À remarquer que l'Argentine a tourné de dos aux BRICS et que l'Arabie saoudite est
un quasi-membre, n'ayant pas encore finalisé l'ensemble des démarches nécessaires.
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(Texte basé sur un article paru initialement sur X -Twitter-)
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(30 novembre 2024)
Le retrait du Tchad de ses accords militaire avec la France, combiné avec une décision similaire du Sénégal, tout récemment, s'inscrit dans le cadre de la montée en puissance des pays bricsiens en Afrique, aux dépens des pays occidentaux.
Les pays du BRICS, notamment la Chine et la Russie, sont de plus en plus présents en Afrique, la première au plan économique, la seconde au plan militaire. Ce ne sont pas les seuls, cependant, loin s'en faut. L'Inde est aussi très active, surtout dans le domaine économique, notamment au Nigéria. C'est aussi le cas des Émirats arabes unis, en Égypte mais aussi ailleurs en Afrique. La Turquie, par ailleurs, continue de chercher à étendre son influence dans l'ancien espace ottoman, le long de deux grands axes maritimes, celui de la mer Méditerranée et celui de la mer Rouge, jusqu'à l'océan Indien, ainsi que dans plusieurs pays de l'Afrique noire, sans parler du Caucase et de l'Asie centrale turcophone.
Il faut souligner que le tout premier pays à se joindre aux quatre membres des BRIC initiaux a été l'Afrique du Sud, à l'extrême pointe sud du continent, suivi dès la présente année de l'Égypte et de l'Éthiopie, deux pays très populeux situés aux portes nord-est du continent et à proximité d'importants goulots d'étranglement du transport maritime, le canal de Suez et le détroit de Bab el Mandeb, respectivement. Ce n'est pas anodin.
Ensuite, trois pays africains ont été retenus pour se joindre l'an prochain en tant que partenaires des pays membres, soit l'Algérie, l'Ouganda et le Nigéria. Les dix autres sont soit en Amérique latine (Bolivie et Cuba), soit en Europe (Bélarus), soit en Asie (Turquie, Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Vietnam, Kazakhstan et Ouzbékistan).
Il est bien évident que l'expansion des pays émergents qui composent la coalition bricsienne ne laisse pas indifférents les pays les plus pauvres monde, dont beaucoup se trouvent au sud du Sahara, et qu'ils y voient une opportunité de se développer au plan économique grâce au financement additionnel que cela peut leur procurer.
Le dispositif militaire russe en Afrique est impressionnant par son ampleur. Surtout présent dans les trois pays de l'alliance sahélienne, le Niger, le Mali et le Burkina Faso, ce dispositif comprend aussi des antennes dans le bassin congolais (Centrafrique), ainsi que dans le centre et l'est de la Lybie post-Gaddafi, soit le territoire contrôlé par la faction basée à Tobrouk et soutenue par la Russie, l'Égypte et les Émirats arabes unis.
L'Afrique tend donc à se bricsianiser, peu à peu, mais les puissances extérieures y demeurent encore très présentes, souvent dans les aires culturelles délimitées par les anciennes sphères coloniales, notamment l'Afrique francophone, l'Afrique anglophone, l'Afrique lusitanophone, l'Afrique italophone et l'Afrique hispanophone. L'Afrique arabophone est un cas particulier, étant donné la proximite géographique du Moyen-Orient et le rôle unificateur important qu'y joue l'Islam, en forte expansion au sud du Sahara, par la poussée démographique mais aussi par les conversions volontaires suscitées par le prestige de la civilisation musulmane en général.
L'influence française, par exemple, est globalement en recul au plan politique et militaire (mais pas nécessairement au plan culturel et linguistique, des domaines où les changements sont souvent plus lents). Cette influence persiste cependant dans certains pays guinéens, surtout en Côte d'Ivoire et au Bénin, ainsi qu'en Afrique centrale (Gabon, Cameroun, les deux Congos) et en Afrique orientale (Burundi, Djibouti et Madagascar). D'une façon schématique, dans le cas de l'Afrique de l'Ouest, l'influence bricsienne se répand de l'intérieur vers les côtes. L'élément déclencheur semble avoir été l'implantation, ces dernières années, de groupes djihadistes violents dans les pays sahéliens, majoritairement musulmans et très pauvres, mettant en péril l'existence des populations civiles, dont les récoltes et les troupeaux sont régulièrement volés par les insurgés. Les gouvernements locaux, mis sous pression, ont graduellement laissé place à des juntes militaires engagés dans des combats sans merci.
Le coeur de l'insurrection se trouve au croisement des territoires du Mali, du Burkina Faso et du Niger, mais les opérations djihadistes débordent souvent les frontières de ces trois pays sahéliens, par exemple dans l'extrême nord-ouest du Bénin, un secteur assez peu peuplé, siège d'un réseau complexe de parcs nationaux (Pendjari, W), de réserves écologiques et de zones de conservation animale. Des accrochages y ont fait plusieurs morts et blessés au cours des dernières années, créant un climat d'insécurité généralisé et obligeant le Bénin, petit pays pacifique d'une douzaine de millions d'habitants, ne disposant que de forces militaires limitées, de l'ordre de quelques milliers de soldats seulement, à mettre en oeuvre des mesures spéciales, notamment par le biais d'accords avec le Rwanda.
Dans la foulée, les trois États sahéliens ont créé une alliance militaire, amorce d'une confédération politique, et fait appel aux forces armées russes pour suppléer aux troupes françaises et américaines, éxpulsées du territoire. Le Togo est politiquement proche de l'Alliance des États sahéliens (AÉS), pour des raisons économiques, liées au transport des marchandises entre la côte et l'intérieur, tout comme la Guinée (le fer de la future mine de Simmandou, développée par des capitaux chinois et occidentaux, est une source potentielle de richesse pour l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest, avec des retombées prévues jusqu'au Nigéria) et le Sénégal. Il faut souligner que le retrait sénégalais a une grande importance symbolique, la France s'étant implantée en Afrique à partir de la région du fleuve Sénégal, dans un grand mouvement suivant grosso modo la côte guinéenne vers l'est, passant par la Guinée (l'ancienne colonie des Rivières-du-Sud), la Côte d'Ivoire et le Bénin (autrefois connu sous le nom des Établissements français du golfe de Guinée, puis de la colonie du Dahomée). La capitale sénégalaise, Dakar, a longtemps été la capitale de l'Afrique occidentale française, un territoire administratif regroupant l'ensemble des colonies française de l'Afrique de l'ouest.
Il faut aussi signaler que la décision du Tchad de mettre un terme à ses relations militaires avec la France a pour effet de mettre en communication directe le Centrafrique et l'AÉS, ainsi qu'avec la Lybie et, au-delà, l'Égypte. Un corridor terrestre continu existe donc maintenant entre l'AÉS et la péninsule égyptienne du Sinai, c'est-à-dire le début de l'Asie. Cependant, entre le Sinai et les pays bricsiens d'Eurasie, les plus proches étant la Turquie et l'Iran, ce corridor demeure encore interrompu par les combats en cours au Moyen-Orient. Israël, allié des États-Unis, constitue actuellement un bouchon embêtant, bloquant ce corridor entre les villes de Gaza, sur la mer Méditérannée, et d'Eilath, sur le golfe d'Akaba, extension de la mer Rouge.
Dans le cas de l'Afrique septentrionale, au nord du désert du Sahara, l'Algérie est le passage obligé pour atteindre le Maroc et l'océan Atlantique, son addition créant ici aussi un corridor (presque) continu allant du Caire à Casablanca. Si le corridor reste discontinu, c'est simplement par ceci qu'il y manque encore la Tunisie, le plus petit et moins populeux des pays maghrébins, et la partie occidentale de la Lybie (la Tripolitaine)..
Pour ce qui est de l'Afrique centrale, orientale et méridionale, l'Ouganda, invité lui aussi à devenir un partenaire des pays bricsiens, représente une pierre de gué importante sur la longue route reliant le Caire au Cap. L'Ouganda se situe juste au sud du Sud Soudan et communique à la fois avec le Congo démocratique (véritable géant géographique et démographique) et la Tanzanie, historiquement proche de la Chine, à l'instar de la Zambie. L'adhésion de l'Ouganda permet aussi à la Chine de contourner et d'isoler le Kénya et le Rwanda, deux pays proches des puissances anglophones. Ajoutons ici que le sort du Soudan, siège d'une guerre civile, reste encore incertain. Ce pays fait la jonction entre deux des nouveaux pays bricsiens, l'Égypte et l'Éthiopie, le long de la vallée du Nil.
Il résulte de tout ce qui précède que les opérations en cours constituent jusqu'à maintenant un triomphe considérable pour la diplomatie chinoise, couronnant les efforts de l'Empire du Milieu, coeur des pays du BRICS, pour assurer le développement de son influence économique et politique en Afrique, le deuxième plus vaste continent de notre planète au plan géographique et le futur centre de gravité de l'humanité au plan démographique, puisque 40 % de la population humaine y vivra à la fin du présent siècle...
https://www.letemps.ch/monde/afrique/apres-le-mali-le-burkina-faso-et-le-niger-le-tchad-rompt-ses-accords-de-cooperation-de-defense-avec-la-france
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PLUS: @charles.millar3 (X-Twitter)
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